On pâtit de plus en plus de l'instabilité politique et socioéconomique L'entreprise économique, l'une des premières entités créatrices de richesses et d'emplois, en Tunisie, est confrontée, aujourd'hui, à l'instabilité politique et socio-économique qui règne dans le pays, phénomène qui a marqué la scène nationale après la révolution (17 décembre 2010-14 janvier 2011). Les chefs d'entreprise ressentent ainsi de plus en plus les contrecoups de cette instabilité et du manque de visibilité qui sévissent depuis plus de deux ans. Leur souci primordial est désormais d'assurer la continuité de leurs activités pour garantir la pérennité de leurs établissements et ne pas se heurter à des difficultés financières majeures. L'Utica avait déjà averti, à plusieurs reprises, contre les dangers qui menacent le tissu entrepreneurial et l'économie tunisienne en général. Elle a également attiré l'attention dans une note intitulée «L'économie tunisienne: état des lieux et plan pour une sortie de crise» sur le risque «de voir les partenaires et clients étrangers de la Tunisie perdre confiance dans le site et partant, voir les carnets de commandes pour les prochaines années se vider au profit de pays concurrents». La Fipa (Agence de promotion de l'investissement étranger) a fait état, dans ses dernières statistiques, d'un recul de 12,7% du flux des investissements étrangers réalisés, jusqu'à fin septembre 2013, par rapport à 2010 (1491,9 MD contre 1698,8 MD). Cette régression, qui traduit déjà une perte de confiance dans le site Tunisie, est due, selon la centrale patronale, à la mauvaise logistique portuaire et douanière, aux troubles sociaux, à la situation sécuritaire, au manque de réactivité et au blocage du processus de transition. Des solutions de facilité L'Utica a précisé, dans la même note sur l'état des lieux de la situation économique, que «les constructeurs automobiles demandent de plus en plus à leurs fournisseurs équipementiers, basés en Tunisie, de délocaliser une partie de leur activité vers le Maroc et les pays d'Europe de l'Est». Ils leur ont demandé aussi de ne pas lancer de nouveaux contrats (pour des périodes de 3 à 6 ans) en Tunisie. Cette tendance est constatée chez les donneurs d'ordre du secteur de textile-habillement, a déploré l'organisation patronale. «L'entreprise tunisienne n'est plus dans une dynamique de développement mais dans une situation d'attentisme», a résumé, Nafaâ Ennaifer, président de la commission économique à l'Utica, dans une déclaration à TAP. Il estime que la mesure proposée dans le cadre du projet de la loi de finances pour l'exercice 2014, relative à la suppression de l'exonération des entreprises totalement exportatrices, lesquelles seront redevables, dorénavant, d'une taxe de 10% va dissuader les investisseurs étrangers de venir en Tunisie. «Cette exonération était à l'origine de la réussite de l'industrie tunisienne», a-t-il regretté. Il a ainsi critiqué la démarche du gouvernement actuel, «qui cherche à corriger le déficit budgétaire (6,8%) par des solutions de facilité pouvant détruire le tissu économique», à son avis. Déjà, «les bons de commandes ne se font plus à la même fréquence, les chiffres d'affaires sont en baisse et les coûts de production sont en hausse, ce qui menace la compétitivité des unités et fragilisera l'entreprise tunisienne tôt ou tard». Selon le président de la commission économique, à l'Utica, il est urgent, aujourd'hui, d'identifier des solutions radicales à l'ensemble des difficultés auxquelles font face les entreprises, «d'imposer la discipline et d'ancrer une culture du travail». D'après lui, il faut aussi mettre en place des dirigeants compétents non seulement pleins de bonne volonté mais ayant aussi une vision claire et des réactions rapides face aux problèmes de l'heure. Il y a lieu, par conséquent, de relancer et motiver ces entreprises qui «n'ont plus envie d'investir, ni de recruter ni même de pérenniser les emplois existants», a-t-il dit. Charges et production : deux casse-têtes pour l'entrepreneur Dans des témoignages recueillis par l'agence TAP, des chefs d'entreprise ont confirmé les dires du président de la commission économique de l'Utica concernant la dégradation de la situation des entreprises tunisiennes. Béchir Boujdai, à la tête d'une entreprise active dans le domaine des IME (industries mécaniques et électriques), a souligné que, généralement, les dirigeants des entreprises se trouvent, aujourd'hui, face à une nouvelle donne qui se résume en une hausse des charges, notamment salariales, un rythme de production et une productivité en baisse. D'après lui, les retombées de la crise économique actuelle sont ressenties, différemment, d'un secteur à un autre, mais d'une manière générale, «tous les secteurs sont affaiblis». Pour les industries mécaniques et électriques (IME), les pertes se situent, depuis 2010 jusqu'à ce jour, entre 10% et 20%, a précisé Boujdai. Au sujet des emplois, il a indiqué que les recrutements dans les entreprises demeurent en deça de l'escompté, faisant remarquer que même les recrutements réalisés sont considérés comme des emplois précaires. La situation est encore plus épineuse pour Taïb Souissi, propriétaire d'une société de distribution dans le domaine du bricolage, laquelle est en difficulté depuis plus de 10 ans. «Mon entreprise est en difficulté, depuis sa création en 1998, à cause d'un système décourageant qui ne fait que décevoir les gens», accuse l'homme d'affaires. La révolution ne semble pas mettre terme à sa souffrance. «Je suis encore en situation de stand-by, personne ne peut investir dans une économie entachée par l'anarchie, la corruption et l'informel», selon Souissi. «Aujourd'hui, le système continue à punir la transparence, l'intégrité, la loyauté et la citoyenneté de manière générale», a-t-il ajouté. Et de poursuivre que le nombre des entreprises en difficulté augmente de plus en plus. Certaines d'entre elles ont choisi de délocaliser leurs sites, d'autres ont mis la clé sous la porte, alors que d'autres unités préfèrent patienter et maintenir leurs activités, affrontant tous les obstacles. Le nombre cumulé, pendant les années 2011 et 2012, des entreprises connaissant des difficultés financières et ayant sollicité un programme de soutien, s'est élevé à 291 entreprises, a fait savoir Sahbi Fassi, directeur au ministère de l'Industrie, chargé des entreprises en difficulté.