A l'heure où nous mettions sous presse, et en l'absence de communiqué officiel, on était réduit aux conjectures. Des sources concordantes donnaient Jelloul Ayed premier favori Après avoir joué les prolongations au-delà du temps légal, c'est aujourd'hui que le sort du Dialogue national devrait être scellé. Hassine Abassi s'était engagé à éclairer l'opinion publique sur les tenants et les aboutissants de ces pourparlers compliqués, au plus tard au début de cette semaine. Nous sommes déjà mercredi. Pour autant, le secrétaire général de l'Union des travailleurs s'est refusé jusque-là à annoncer, en termes explicites, l'échec des négociations, en s'interdisant, après l'avoir promis pourtant, de dire les «quatre vérités». C'est pour ne pas alarmer les Tunisiens, s'était-il justifié. Le fait est qu'après les chocs traumatiques successifs qu'il a subis, le peuple a le droit d'être traité en adulte. L'infantiliser par de faux espoirs et des déclarations vaines et enrobées n'est ni digne de lui, ni productif, ni ne relève d'une attitude responsable en l'état actuel des choses. Un fait notoire, cependant : des multiples brouilles qui ont opposé les partenaires politiques et miné les sessions du dialogue, une a persisté jusqu'au bout, pour interdire l'établissement de tout consensus autour d'un futur chef de gouvernement. Qui sont les vrais responsables de cet autre rendez-vous manqué de la phase transitoire ? Pourquoi la feuille de route, après avoir été paraphée, n'a-t-elle pas été appliquée et les échéances honorées ? Quelles sont les raisons qui ont empêché l'équipe gouvernante démissionnaire de partir ? Choix consensuel mais inapplicable Connaître les réponses à ces questions ne relève pas du bon vouloir des uns et des autres, mais d'un droit. De la vérité occultée, quelques bribes sont remontées à la surface. La grande discorde autour du dialogue a été nourrie notamment par le choix de Ahmed Mestiri comme futur chef de gouvernement. L'ex-ministre de Bourguiba se trouve encore une fois, à quelques décennies près, propulsé sur le devant de la scène, pour être massivement plébiscité par Ennahdha et satellites. Sur fond de bilan catastrophique, ou disons très décevant, de cette législature transitoire, le parti au pouvoir a vu en l'ex-secrétaire général du MDS l'unique garant pour assurer ses arrières et prendre les devants. De ce fait, acculé à rendre les clés de la maison, le parti Ennahdha, installé confortablement dans les deux appareils exécutif et législatif, est décidé à ne pas quitter les lieux, sans avoir le double des clés pour opérer un retour sans heurt. L'ex-destourien, M. Mestiri, semble avoir la confiance nécessaire pour encourager, du moins ne pas entraver ces plans prévisionnels. La candidature de Ahmed Mestiri a été également soutenue par le parti Al Joumhouri. Si on s'interdit d'évoquer le lien familial qui lie le dirigeant Néjib Chebbi pour Ahmed Mestiri, un autre argument plus objectif semble étayer cette prise de position. Le chef du bureau politique d'Al Joumhouri propose, pragmatique, de garder le groupe des quatre qui a réussi à passer entre les mailles, à savoir Ahmed Mestiri, Mohamed Ennaceur, Jelloul Ayad et Kamel Ennabli, pour mettre en place une équipe politique, pourvue de hautes compétences économiques, et assurer une sortie de crise qui soit honorable à tous. D'autres sources avancent, elles, que Abdelkérim Zbidi ferait partie de cette équipe à la place de Ayed, et serait chargé du volet sécuritaire. Si séduisant et consensuel que ce choix puisse paraître, des divergences profondes tant idéologiques, politiques qu'économiques divisent les quatre nominés. Tant et si bien qu'il semble difficile de réunir ces hautes statures à la tête des chaînes de commandement sans imaginer des clashes dès les premiers jours de la prise de fonction. La limite de l'exercice Cet exercice, un candidat pour chaque parti, a montré rapidement ses limites, notamment pour l'opposition. Ses dirigeants ne se sont pas contentés de présenter séparément une foultitude de candidats, mais ils ont fait mieux : opposer des vetos aux postulants de certains partis «confrères», assis comme eux sur les bancs exigus de la minorité. Le cas de Jelloul Ayad en est un exemple édifiant. Un expert en finances qui a l'expérience et la crédibilité internationales est rejeté tout de go par le Front populaire. Pour quelles raisons? Le juge-t-on trop libéral sur le plan économique? Trop lié aux organismes financiers internationaux et au capital ? Sans doute! Même si au cours de son passage aux Finances, il avait montré un vrai tropisme social. J. Ayad reste cependant l'interlocuteur crédible auprès des instances internationales. C'est, du reste, un enfant du peuple, son père était chef de gare, il a grimpé les échelons petit à petit par sa volonté, il est parti faire ses études aux Etats-Unis. Chawki Tabib, juriste reconnu, parfait connaisseur des arcanes politiques, est un autre choix qui a ses chances pour une période qui s'annonce hautement politique. En l'état actuel des choses, peut-on accuser Ennahdha d'être l'unique source de blocage ? Se rattrapant au dernier virage, les principaux partis de l'opposition ont chargé les organisations marraines du dialogue de désigner un candidat. Refus d'Ennahdha ; «ce n'est pas leur rôle, ils ne sont que médiateurs». Un verdict sans appel porteur d'un message sous-jacent : «Continuez à vous diviser, moi je joue la montre » ! Mais pourquoi se démener autant pour désigner un chef de gouvernement, dont l'exercice sera très court a priori ? La situation économique et financière est telle que la marge de manœuvre de n'importe quel futur chef de gouvernement sera voisine de zéro. Toutes les politiques se ressembleront : réduire le déficit budgétaire d'abord ! Tout le reste viendra après. En revanche, réunir les conditions pour l'organisation des futures élections, voilà le véritable enjeu des tractations en cours. De ce fait, si la neutralité de l'administration n'est pas garantie, si les instances de régulation ne sont pas mises en place, et notamment l'Isie, si les sources de financement des partis politiques et des campagnes électorales ne sont pas scrupuleusement contrôlées, il est vain d'espérer voir s'organiser des élections démocratiques et transparentes même sous la férule d'un grand homme d'Etat neutre et patriote. A l'heure où on mettait sous presse, et en l'absence de communiqué officiel, on était réduit aux conjectures. Des sources concordantes donnaient cependant Jelloul Ayed pour être très bien placé dans la course, pour ne pas dire le premier favori.