Par Hamma HANACHI 2 décembre 2013. Elle aurait eu 90 ans. Partout, sur les chaînes radios (Radio classique, France musique) sur les télévisions, les journaux papiers et en ligne, on rembobine sa biographie, une partie de sa vie, un extrait de ses opéras. La chaîne Arte a mis les bouchées doubles, une rediffusion, le dimanche 1er décembre d'un documentaire de Philippe Kohly, documentariste réputé, il a brossé les portraits de François Mitterrand, de Georges Pompidou, etc. 98 minutes pour La Callas, réalisé en 2007. Noir et blanc et passages en couleurs, des témoignages, des extraits de films, des personnages avec qui elle a collaboré, les plus grands chefs, des cinéastes, Visconti, Zeffirelli ou Pasolini, d'autres qu'elle a aimés, des villes, Milan, New York, Venise, Rome, Paris, Buenos Aires, Mexico... où elle s'est produite, des théâtres, des opéras. Maria Callas Assoluta : plus qu'un exquis moment de télé, une fête. Sans parler de la voix qui, au cours de passages tels que Casta Diva, donne la chair de poule. Maria Callas. Tous les amateurs de musique classique, de chant lyrique connaissent les détails de sa vie. Une vie, plutôt un roman, une tragédie avec une apogée et un déclin. La Callas avait tout pour elle. Les jeunes filles en classe de chant ont bien de la chance d'avoir un modèle aussi brillant. On imagine bien Yosra Zekri , Hind Châabane, sopranos tunisiennes, rêver d'un destin pareil, elles qui creusent à petits pas leurs sillons. On ne voit pas d'exemples équivalents dans d'autres disciplines, en peinture, en poésie, en littérature, il y a des paquets par douzaines, mais lequel choisir? La Callas c'est la célébrité, la tragédie, les femmes sacrifiées, c'est le désespoir de Tosca (Puccini) le déchirement de Norma (Bellini), la fragilité de Violetta dans la Traviata (Verdi), c'est des débuts difficiles, l'amour, une triste solitude en fin de vie et, entre les deux, les triomphes, les honneurs, des sommets jamais atteints par une cantatrice. Née dans le quartier grec de New York, enfance malheureuse, elle est grosse, myope, elle n'aime pas son corps ni sa vie, encore moins sa mère qui attendait un garçon et reçut une « laide » fille à la place. Détestation et haine entre la fille et la mère qui ne se pardonneront plus. La petite est studieuse, concentrée, assimile vite les cours de musique, commence à chanter à 10 ans, très sérieuse, elle se consacre à son travail, le piano, le chant. Crash boursier de 1929, divorce des parents. Départ de la famille, sans le père en Grèce, recalée au Conservatoire d'Athènes pour méconnaissance du solfège. Cours accélérés, élève modèle chez Trivella qui lui trouve une voix exceptionnelle et prédit pour elle un grand avenir. Assidue, pauvre, elle va pieds nus par temps de neige, elle est la première venue au cours et la dernière à en sortir. Elle sera acceptée au Conservatoire où professait Elvira Hidalgo, une enseignante connue qui devient son amie et sa confidente. Disons que rien ne la prédisposait à devenir la diva qui fit chavirer les cœurs et les corps. Des témoignages émouvants sont montrés dans le portrait Maria Callas Assoluta. Soprano dramatique, elle commence de sa carrière professionnelle à l'âge de 17 ans. Beaucoup de rôles et pas des moindres, elle s'épanouit en Grèce. Retour aux Etats-Unis, elle n'est pas reçue comme elle le souhaitait au Met de New York, manque son Turandot à l'opéra de Chicago qui ferme pour cause de faillite avant le spectacle. L'Italie. Sa rencontre avec le chef Tullio Serafin (1878-1968) est le tournant décisif de sa carrière, de cette période, elle dira «c'était la chance de ma vie». L'idole est née, suivent les rôles historiques, les grands chefs existants, les grandes scènes du monde, les célèbres critiques. Des rappels à chaque spectacle, 12 au Covent Garden devant la reine, 17 au MET de New York, 11 à Rome... Le sommet de la gloire. Elle bat sa rivale, la soprano Renata Tébaldi (1922-2004). A l'époque, c'était les tranchées, on était pour l'une ou pour l'autre soprano, pas de demi-mesure, de terrain neutre entre les deux, les choix provoquaient des divisions dans les familles, des oppositions chez les chefs d'orchestre, des batailles chez les critiques. C'était une époque où l'art lyrique était populaire. Cette semaine, on déterre des archives des cinémathèques, de vieilles photos sur les journaux d'époque, on se délecte d'un détail, d'une réponse, une saillie, un fragment oublié, c'est la célébration. La Callas universelle? On laisse la place à une réflexion de François Cheng, écrivain, artiste né en Chine, membre de l'Académie française «La vraie valeur d'un particulier se mesure à sa capacité à s'ouvrir à l'universel». Alors que toutes ces commémorations et ces louanges sillonnent le monde, on peut se demander s'il existe des amateurs, des artistes du bel canto, du chant lyrique en Tunisie ? Hristina Hadjeva, bulgare d'origine, professeur de chant au Conservatoire de Tunis, qui a formé des générations de cantatrices et de ténors est formelle et résume «Il y a de l'avenir». On a assisté à quelques spectacles où de jeunes chanteurs se sont produits devant un nombreux public à l'Acropolium. Haïthem Hadhiri, baryton dans le rôle du toréador (Carmen de Bizet) étonnant, on l'a revu un an plus tard dans une production italienne de La Serva Padrona (Pergolese), il fait son chemin. Toujours au Conservatoire, Hassène Doff, ténor, gagne des concours en France. Le 13 de ce mois, il y aura un grand spectacle au Théâtre municipal de Tunis, où les Italiens, parmi lesquels le premier ténor David Sodgiu, la soprano Chiara Judisi des Arènes de Vérone et les jeunes chanteurs lyriques tunisiens se partageront de grands rôles, au piano Yoko Azaïez. Hristina Hadjeva, à notre demande, évoquait Maria Callas. Quand elle parle de son idole, elle frémit de tout son corps. Il faut dire que sa rencontre avec la diva l'a marquée à vie, à tel point qu'on l'appelât dans son pays de naissance La Callastina. Hristina était chanteuse de haut niveau, admirative sans freins de La Callas aux dépens de Tébaldi. Hristina a eu ses moments de célébrité, alors qu'elle participait à un concours à Nagasaki (Japon) en 1973 dans le rôle de Butterfly (Puccini), imaginez qui présidait le jury? Hristina nous raconte l'anecdote avec détail, soin et émotion. Elle fut la lauréate du concours, c'est La Callas, en présence du ténor Guiseppe Di Stefano (1921-2008), qui lui remet le trophée. Mieux, généreuse, artiste partageuse, la diva lui offre une paire de boucles d'oreilles en perles et or. «Les meilleurs moments de ma vie». Hristina n'oubliera pas.