L'insubmersible, l'inoubliable, le père de la nation arc-en-ciel, Nelson Mandela, s'est éteint jeudi à l'âge de 95 ans. Mais son âme planera au-dessus de ceux à qui il a offert la liberté en sacrifiant la sienne. Son âme a bien volé pour embrasser des horizons bien plus vastes que ceux d'un bas-monde changeant. Mais ses paroles simples et à forte résonance voleront en tout esprit libre comme l'arbre vole dans l'oiseau qui le quitte. Succombant à une tuberculose contractée au cours de ses 27 années de détention, Madiba —pour les proches— occupe aujourd'hui la une des journaux, des radios et des télévisions du monde entier. Pourtant, il n'est « ni prophète ni messie», si l'on reprend ses propres termes. Son mérite est d'un tout autre ordre. C'est qu'il a brillamment réussi à tirer sa révérence après avoir bien mérité du genre humain. En sa qualité de vrai homme d'Etat, de vrai meneur d'hommes et d'infatigable médiateur, il a assuré à son pays une place de choix dans le concert des nations. Grâce à son militantisme, à sa sagesse, à sa large vision, à sa politique éclairée, à sa lucidité, à sa philanthropie, à son altruisme, à son dévouement et à son abnégation au profit de son peuple et de sa patrie, l'Afrique du Sud s'est frayé un chemin sur la voie de la réussite. Une réussite politique qui s'est traduite par un taux de croissance annuelle de 6% pendant toute une décennie, par la construction dans un temps record de deux millions de logements. S'y ajoutent, consécutivement, une connexion à l'électricité publique de 4 millions de foyers noirs et l'accès à l'eau potable pour 85 % des 52 millions de citoyens sud-africains. Ce ne sont là que quelques indicateurs-témoins de son œuvre grandiose. Car s'il est nécessaire d'en citer plus, l'on ne serait embarrassé que du choix. Mandela, par excellence digne du rang d'un Abraham Lincoln ou encore d'un Mahatma Gandhi a appris à son peuple à pardonner, à aimer et à voir grand en embrassant, tel un père exemplaire, son tortionnaire de Roben Island devant les caméras. Par ce geste aussi bien généreux que digne de la plume de grands historiens et sociologues, il a profondément fasciné ses ennemis avant ses amis, puis le monde entier. Mais l'on peut toujours se demander qui est Mandela pour tout de suite avoir une réponse qui en dit plus. Il est, de surcroît, l'architecte qui est parvenu à unir neuf provinces, à savoir le Kwazul, le Jautenj, le Cape Town, Limpopo, le Mpumalang, le Free State, le Western Cape, l'Eastern Cape et le North West. Il est également le sociologue et l'ethnologue fédérateur qui a réussi à rapprocher, comme ne fut jamais le cas avant lui, onze différents groupes ethniques : Batswana, Bapedi, Bsotho, Zulu, Xhosas, Wanda, Tsonga, Nguni, Anglais, Afrikaaners et Ndebele pour que toutes ces voix éparses n'en fassent plus qu'une. Probe, il a de tout temps renoncé à toute politique qui se veut une incarnation hyperbolique du mal. Sincère, il n'a jamais cherché à tromper son peuple. Patriote, il n'a nullement pris ses compatriotes pour des hommes niais. Pur, il n'a jamais oublié ses origines. Parce qu'il a donné sans calculs, parce qu'il a renoncé à toute sorte de turpitude humaine, parce qu'il a jusqu'au dernier souffle rejeté tout individualisme destructeur pour servir pertinemment le sens du collectif, il sera toujours là, en Afrique du Sud comme au Moyen-Orient, aux Etats-Unis comme en Tunisie, sa voie continuera à sonner : «Il ne peut y avoir plus vive révélation de l'âme d'une société que la manière dont elle traite ses enfants» et «Des gens courageux ne craignent pas le pardon, au nom de la paix». Voilà pourquoi Mandela est un homme fleuve et insubmersible. Voilà pourquoi sa vie ne sera pas engloutie par l'histoire.