Par notre envoyé spécial à Johannesburg Med Hédi ABDELLAOUI • «Mandela nous a appris à pardonner, à aimer et à voir grand» «Il n'y a que les grands hommes qui puissent élever des pays et des peuples à une place de choix dans le concert des nations. Deux décennies après la fin de l'apartheid et l'élection historique de Nelson Mandela, l'Afrique du Sud se fait une place parmi les Brics. Un regroupement des économies émergentes comprenant le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine qui changera peut-être la gouvernance mondiale. Géant est le pas qu'a fait l'économie sud-africaine grâce au labeur et à la détermination de ses hommes inventeurs de mythes. Concrètement, le produit intérieur brut (PIB) en volume de ce pays s'est redressé, passant de -1.7 % en 2009 à 2.8 % en 2010. Un taux qui reste nettement inférieur au potentiel de croissance du pays, estimé à environ 4 % par an. Ce PIB devrait progresser au rythme de 3.6 % en 2011 et de 4.3 % en 2012. Actuellement, plus grande économie du continent, l'Afrique du Sud est considérée comme une porte d'entrée vers l'Afrique. Faut-il le redire ? A l'origine de tout succès il y a des hommes et une volonté». Il est 16 heures. Midrand, à 22 km de Johannesburg (capitale économique) et à 30 km de Pretoria (capitale administrative), offre un tableau fascinant fait d'un jeu d'échos alliant coucher de soleil, arbres entrelacés en marche dans le vent et une splendeur d'espace en continuelle métamorphose. Ce 20 octobre 2011, mon copain de Pretoria Tshegofatso Maake, journaliste à «e-news», chaîne de télévision basée à Johannesburg, pousse un long soupir avant de dévoiler ses mots : «Partout en Afrique du Sud le passé et le présent s'entremêlent infiniment. La douleur et la souffrance ont fait de ce peuple une grande nation. Oh! my friend there is no one like Nelson Mandela and Thabo Mbeki (oh! Mon ami, il n'y en a pas deux comme Nelson Mandela et Thabo Mbeki). Ces deux grands hommes ont façonné le peuple sud-africain comme l'on façonne les plantes par la culture. Si le premier a stoïquement lutté contre le système politique d'apartheid avant de devenir président de la République d'Afrique du Sud de 1994 à 1999, à la suite des premières élections nationales non raciales dans l'histoire du pays, le second, membre du Conseil national africain (parti politique très populaire en Afrique du Sud) qu'il a présidé de 1997 à 2007 puis dauphin de Mandela avant de devenir président de 1999 à 2008, a brillamment servi l'économie sud-africaine. C'était grâce à lui, en d'autres termes, grâce à sa politique éclairée et à son approche prospective, que notre économie a enregistré une croissance annuelle de 5 à 6% sur dix ans, que l'on a construit 2 millions de nouveaux logements depuis 1994. En plus d'une connexion à l'électricité publique de 4 millions de foyers noirs et de l'accès à l'eau potable pour 85 % des 52 millions de citoyens sud-africains. Personne ne peut nier les exploits de ces deux hommes qui ont réussi, non seulement à minimiser la ségrégation entre Blacks et Blancs, mais aussi à bâtir un pays doté d'une infrastructure développée et d'une économie équilibrée malgré les divisions historiques ayant longtemps déchiré notre pays». Un modèle de réussite On l'a déjà senti et perçu au gré de quelques pérégrinations dans les rues, les boulevards, les parcs publics, les centres commerciaux, la campagne et les zones industrielles de Midrand, de Johannesburg, de Pretoria et de Suchungoove. L'Afrique du Sud s'affirme comme une puissance continentale continuant à consolider sa position comme l'un des marchés les plus prometteurs dans le monde. Joel Perets Mutamba, expert-comptable originaire de la République démocratique du Congo qui réside en Afrique du Sud depuis 1997, est amplement fasciné par le modèle sud-africain. «L'Afrique du Sud s'offre sur une combinaison unique de support de services d'affaires développés et un environnement d'investissement dynamique avec de nombreux avantages et opportunités compétitifs. Ici, toutes les forces vives se complètent. L'Etat, les capitaux privés, les coopératives et d'autres formes de propriété coopèrent d'une manière intégrée afin d'éliminer la pauvreté et de promouvoir la croissance économique partagée. Il faut également reconnaître que l'industrie sud-africaine s'est très tôt développée grâce aux ressources minières dont dispose le pays. Cela dit, l'industrie mécanique lourde, l'industrie électrique et électronique, l'informatique, l'industrie de transformation des minerais, l'industrie des produits chimiques et des métaux de base, du papier, des machines et composants automobiles se sont fortement développées grâce notamment à la disponibilité du financement et aux hautes compétences étrangères qu'a drainées le pays. Ajoutons que l'industrie des biens de consommation est très variée : agroalimentaire, textile, confection, équipement électroménager, automobile. Bien qu'elle ne présente que 4% du territoire africain et 7% de sa population, l'Afrique du Sud génère 30% du revenu total du continent, 43% de sa production minière, 75% de sa production d'acier et 57% de son énergie électrique. C'est un pays qui promet tant quant à l'économie africaine et mondiale. Sachant que sa politique d'ouverture de marché, grâce notamment à des politiques économiques saines, un contexte juridique et social favorable et un accès rapide aux marchés dotés d'un grand potentiel va grandissant. Après Mandela, Mbeki y est pour beaucoup», avance Joel. Le tourisme, un secteur clé L'Afrique du Sud est un pays aux charmes irrésistibles. De Johannesburg à Cape Town, les paysages sont à la fois sauvages et modernes, somme toute, somptueux. Outre ses parcs nationaux qui abritent une faune exceptionnelle tels que le parc du Pilannesbeg à Sun City, encore appelé « The Big Five » où l'on peut rencontrer lions, léopards, rhinos, éléphants et buffles et le parc d'Oudtshoorn, planté au milieu de la vaste plaine quasiment désertique du petit Karoo, un des plus grands centres d'élevage d'autruches au monde qui fournit en plumes l'industrie du spectacle et de la couture, ses montagnes majestueuses, ses côtes et ses forêts splendides et sa brousse infiniment verdoyante, le pays met en avant la richesse de son héritage culturel et historique afin de mieux renforcer l'originalité de son offre touristique. Plutôt que dans les musées, l'art sud-africain s'exprime depuis l'aéroport de Johannesburg et dans les rues. Les statuettes de Mandela et sa célèbre chemise sont exposées partout. Et les peintures des femmes ndebele (une peinture traditionnelle qui obéit aux lois de la géométrie) ornent d'innombrables facettes. «Nous sommes fiers de tout cet héritage et nous le portons comme un médaillon honorifique sur nos poitrines. Mandela nous a appris à pardonner, à aimer, à voir grand. Il nous a mis sur la bonne voie. Aujourd'hui, c'est à nous de préserver ce qu'il a fait et de continuer le chemin avec la même volonté», lance Lindewe Sithole, journaliste évoluant à Johannesburg. Parmi les atouts du tourisme sud-africain, il y a aussi l'environnement pour lequel est consacré tout un département géré par de grandes compétences. «L'Etat dépense énormément pour la sauvegarde de notre environnement. C'est pourquoi tout est clean et l'air que vous respirez en Afrique du Sud est rafraîchissant et relaxant. Il convient de dire qu'il y a quand même des conduites irresponsables de la part de certains citoyens mais le gouvernement réagit vite. Avoir un environnement sain est une priorité et un atout majeur. On en est fort conscients ici», fait remarquer Tshego. Il va sans dire que l'Afrique du Sud a en 2010 drainé, selon Joel, près de 8.5 millions de touristes dont la plupart frôlaient le haut de gamme. Sachant que l'objectif visé d'ici à 2020 est d'atteindre la barre de 15 millions de visiteurs internationaux. Une nation arc-en-ciel, un seul maillot La composition de la société sud-africaine est à la fois diverse et complexe. Pourtant, la loyauté envers le pays semble être la même : forte et intarissable. Le pays se compose en effet de neuf provinces (Kwazul, Jautenj, Cape Town, Limpopo, Mpumalang, Free State, Western Cape, Eastern Cape et North West). Ces neuf provinces sont peuplées par onze divers groupes culturels comme aime à les appeler mon interlocuteur. D'ailleurs, on l'a remarqué, il évite de dire groupes ethniques. Il s'agit des Batswana, des Bapedi, des Bsotho, des Zulu, des Xhosas, des Wanda, des Tsonga, des Nguni, des English (Anglais), des Afrikaaners et des Ndebele. Ils n'ont pas eu les mêmes chances d'accès aux richesses du pays. Les disparités existent toujours quoiqu'elles aient été atténuées. Pourtant, ces groupes ethniques se respectent et œuvrent sans relâche pour le bien de leur pays. Le spectacle qu'ils offrent chaque samedi est à la fois amusant, impressionnant et révélateur. La plupart d'entre eux portent le maillot national de l'équipe de Rugby (jaune et vert). «Porter le maillot national une fois par semaine est une manière d'exprimer sa loyauté envers le pays. Une façon de dire que l'intérêt supérieur de l'Afrique du Sud nous unit tous. C'est également un appel à la paix et à la philanthropie et un facteur de cohésion sociale. Je me rappelle que lorsque Mandela est apparu vêtu du maillot n°6 de François Piennar, le capitaine de la sélection Springbok le jour de la finale de la Coupe du monde en 1995, le stade s'est embrasé», s'exclame Tsegho.