Plus de 250 associations tunisiennes ont des activités financières suspectes, alors que c'est le flou total sur les comptes des partis politiques « La pire des corruptions n'est pas celle qui brave les lois, mais celle qui s'en fait à elle-même», disait Louis de Bonald. Malheureusement, malgré la présence des décrets-lois 87 et 88 relatifs à l'organisation des partis politiques et des associations, les mécanismes de financement des partis politiques et des associations en Tunisie demeurent peu transparents. A la lumière de ce constat, l'Association tunisienne de lutte contre la corruption (Atlc) a organisé, avant-hier, une rencontre nationale dont le thème était « L'argent politique et associatif » Lacunes et opacité Outre les lacunes décelées dans le dispositif législatif encadrant la vie politique et associatif dans nos contrées et l'absence, surtout, d'un cadre institutionnel pour le contrôle de l'argent politique, tous les experts (commissaires aux comptes, experts-comptables, avocats, etc.) et acteurs de la société civile réunis étaient unanimes sur l'opacité du paysage politique et associatif de la Tunisie post 14 janvier 2011. «Les partis politiques en Tunisie ne révèlent pas leurs sources de financement ni comment l'argent est dépensé lors des campagnes électorales... En fait, l'argent politique est resté un sujet tabou même après la révolution, malgré l'évolution du paysage politique et l'apparition de phénomènes graves au cours et après les élections du 23 octobre 2011 », fait savoir Ibrahim Missaoui, président de l'Atlc. Il ajoute : « L'achat des voix et des consciences, le tourisme parlementaire et les assassinats politiques ont caractérisé toute cette période. ». Toujours selon M. Missaoui qui se base sur le témoignage d'un cadre à la Banque centrale de Tunisie, plus de 250 associations ont des activités financières suspectes. De son côté, M. Habib Koubâa, représentant du ministère de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, a déploré le manque de moyens matériels et de ressources humaines ainsi que l'absence de compétences spécialisées dans le contrôle de l'argent politique surtout au niveau de la Cour des comptes. Ainsi pour pallier ces défaillances, il a encouragé « l'utilisation des nouvelles technologies de communication (Ntic) » pour optimiser le contrôle des canaux des financements politiques, tout en renforçant le rôle de la société civile dans ce domaine. Le décret-loi 87 en question En revanche, M. Sofiène Ben Abid, expert-comptable, a souligné dans son intervention que le contrôle des financements des partis politiques et des associations doit être assuré par trois corps : le commissaire aux comptes qui a la tâche de contrôler les comptes des partis politiques et des associations, la Cour des comptes et l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). « Le décret-loi n°87 sur les partis politiques n'offre pas au commissaire aux comptes les garanties nécessaires pour avoir plus d'autonomie dans sa mission. De ce fait, il est nécessaire de réviser des textes juridiques existants et de mettre en place des structures nationales de contrôle des mécanismes de financement des partis politiques et des associations», ajoute-t-il. Toujours selon M. Ben Abid, l'opacité dans les mécanismes de financement des partis politiques et des associations peut surtout cacher un blanchiment d'argent ou de l'argent fruit de la contrebande, notamment quand il s'agit d'un financement provenant de l'étranger. Pour ce qui est du respect du dispositif législatif régissant la vie politique et associative, Mme Neïla Chaâbane, membre de la Commission nationale de lutte contre la corruption, déclare : «Malheureusement, aucun parti politique tunisien n'a respecté les directives du décret loi n°87 qui prévoit le contrôle des sources de financement des partis politiques et inflige des pénalités en cas d'irrégularités ou d'infraction ». Ce laisser-aller est dû, selon elle, à une volonté politique « quasi inexistante » pour lutter contre la corruption. « D'ailleurs, aucun parti politique tunisien n'a publié sur son site officiel ses sources de financement », renchérit-elle. Le journalisme d'investigation manque à l'appel Enfin, maître Abdeljaoued Harrazi, ancien président de l'Instance régionale indépendante pour les élections de Tunis, a rappelé qu'il n'y a pas un seul exemple — ou schéma — de financement qu'on pourrait qualifier « d'idéal », de « plus transparent que les autres » ou de « plus indépendant », etc. Cependant, il a insisté sur le fait que « l'arsenal juridique déjà en vigueur est inapte à assurer un contrôle efficace de l'argent politique ». Il a aussi relevé les difficultés d'ordre technique qui entravent le travail de la Cour des comptes ainsi que le manque de ressources humaines. « J'ajoute qu'il n'y a pas un juge spécialisé dans les affaires de gestion des associations. La désertification qu'a connue la Tunisie durant 23 ans a empêché l'émergence de juges spécialistes dans le contrôle des activités des associations et des partis politiques. Idem pour les problèmes que connaît le secteur des médias avec l'absence du journalisme d'investigation. Le problème est que quelques journalistes ont tendance à servir un agenda politique ; ce qui les empêche de jouer leur rôle comme journalistes d'investigation et de dénoncer des scandales politiques», conclut-il.