Les critiques virulentes des experts en matière de contrôle des financements des partis politiques laissent présager d'importantes difficultés A quoi servent les équipes d'observation affectées par les associations avant et durant les élections? De même, à quoi servent les rapports de la Cour des comptes en tant que mécanisme de contrôle des listes comptables des partis politiques et de leurs campagnes électorales? De telles questions ont été posées samedi dernier lors d'un séminaire de réflexion organisé par l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature (Otim) avec la participation de plusieurs magistrats membres de la Cour des comptes, ainsi que des représentants d'associations actives dans le suivi des élections, dont «Atide» et «I Watch». Le séminaire a débouché sur un ensemble de recommandations et a établi le diagnostic des défaillances du cadre juridique régissant les élections et les campagnes électorales, notamment en matière de contrôle des financements étrangers des partis politiques. Les intervenants ont appelé à amender le décret-loi n°87 du 24 septembre 2011 relatif à l'organisation des élections, ainsi que le cadre régissant les associations à cause du flou qui y persiste en matière de financement. Ils ont, par la même occasion, appelé à appliquer le décret-loi n°41 du 26 mai 2011 relatif à l'accès aux documents administratifs des organismes publics, alors que les associations se sont plaintes du fait qu'elles soient mises à l'écart du processus de contrôle des élections. L'opacité comptable des partis politiques tunisiens fait l'objet de critiques virulentes de la part des magistrats de la Cour des comptes et d'autres acteurs de la société civile, notamment les associations qui ont supervisé de près le déroulement de la campagne électorale et des dernières élections. D'ailleurs, les bilans comptables des élections du 23 octobre 2011 des différents partis n'ont pas encore été présentés de façon transparente, ce qui renforce le doute quant à l'immixtion de l'argent «sale», dans ce processus électoral, en provenance notamment de l'étranger. Plusieurs dépassements ont été relevés par les associations et organisations spécialisées dans la supervision des élections, et ce, durant et après les élections. D'après les spécialistes le non-recouvrement par l'Etat des sommes allouées aux listes n'ayant pas obtenu au moins 3% des suffrages est l'un de ces problèmes qui entachent le processus électoral, puisque ça ouvre la voie aux manipulations et dépassements, alors que les sanctions se font attendre... L'argent, le pouvoir et autres enjeux Le président de l'Observatoire tunisien de l'indépendance de la magistrature, Ahmed Rahmouni, a indiqué qu'on est en train de réfléchir à la création d'une alliance civile pour le contrôle de l'argent politique en Tunisie. Il a ajouté : «L'argent politique affecte directement l'opération électorale et il est nécessaire de renforcer la transparence et de mieux sensibiliser les citoyens aux mécanismes relatifs à l'utilisation de l'argent politique. Le processus de transition démocratique est difficile et fait face à un ensemble d'obstacles. Il faut bien préparer les prochaines élections et le cadre juridique reste le terrain prioritaire». De son côté, Fadhila Gargouri, magistrat et chef de service à la Cour des comptes, a mis en exergue l'urgence de clarifier les définitions relatives aux élections ainsi que l'impératif de définir les mécanismes nécessaires à même d'appliquer la tâche de contrôle attribuée à la Cour des comptes. «La société civile doit jouer son rôle de cinquième pouvoir pour faire pression sur le gouvernement, le pouvoir exécutif et les gestionnaires. C'est que nous avons publié les résultats de nos travaux de contrôle, qui comportent d'importantes remarques, sans qu'il y est une suite auprès de la société civile. Pour le contrôle lors des élections, il est vrai qu'il y avait plusieurs acteurs mais chacun avait son rôle. Ce qui n'est pas logique dans la dernière loi électorale, c'est que les sanctions à prendre contre les listes électorales sont revenues à l'Isie. C'est une prérogative qui aurait dû revenir à la cour des comptes». Rebondissant sur la question de l'argent public alloué à la campagne électorale, Aïcha Ben Belhassan, magistrat à la Cour des comptes et membre de l'Otim, a indiqué qu'aucun parti politique n'a publié le bilan comptable tel que le stipule le décret n°87, soulignant à l'occasion l'ouverture de la Cour des comptes sur d'autres expériences intéressantes dans des pays avancés en matière de comptabilité des élections. L'expert en fiscalité, Lassaâd Dhaouadi, s'est attardé sur les défaillances des décrets adoptés en 2011, qui, d'après lui, ont été le fruit d'un environnement politique corrompu. Il a évoqué une certaine contradiction dans la législation quant aux proportions de financement des partis entre cotisations et dons. De même, Dhaouadi a relevé le conflit d'intérêt existant dans la procédure d'accès aux documents administratifs que les partis revendiquent, alors qu'ils n'ont pas eux-mêmes publié leurs bilans. Aussi, il a critiqué le pouvoir exécutif qui demeure l'outil de contrôle dans les élections, ce qui contredit le principe de l'impartialité du système de contrôle. A quand l'implication de la société civile? La question d'appartenance partisane des administrateurs a été, aussi, posée, puisque l'un des fondamentaux de la transparence des élections est que l'administration reste neutre dans ce processus démocratique. Dans ce sens, l'expert en fiscalité a proposé de fusionner les mécanismes de contrôle publics dans un seul corps que doit mentionner la Constitution pour qu'il soit doté d'un pouvoir réel. La partialité des associations caritatives et autres a été une autre défaillance sur laquelle a insisté le président de l'association «I Watch», Mouheb Karoui, qui a souligné l'importance de l'implication de la société civile dans le processus de contrôle des élections. Pour sa part, le président de l'association Atide, Moëz Bouraoui, s'est étalé sur le contrôle et la supervision pré-électorale. Donnant des exemples de dépassements que son association, forte d'une importante équipe de superviseurs dans les 24 gouvernorats, a pu enregistrer, il a affirmé que les différents acteurs politiques se sont mis d'accord lors des précédentes élections pour mettre à côté l'ancienne loi électorale, dite «de Ben Ali». Le débat s'est fait long concernant les financements étrangers des partis dans un contexte où le cadre légal reste incomplet et manquant de précision au niveau de plusieurs points importants, dont la partialité des associations qui peuvent jouer le rôle de relais pour les partis et faire leur propagande en toute légalité ! L'usage de certains supports médiatiques lors des campagnes électorales de certains autres partis a été vivement critiqué. Toutes ses observations et bien d'autres pourront rester sans suite si on ne parvient pas à impliquer réellement la société civile dans la conception de la loi électorale. Sans oublier un autre chantier, non moins important, celui des déclarations sur l'honneur des biens des politiciens, qui, sous d'autres cieux, renverse bien des situations tellement c'est un facteur révélateur des intentions et des méthodes de financement des partis. L'accès à certaines informations reste un champ d'analyse entre ce qui est privé et ce qui est à rendre public. Pour le moment, la question des élections ne semble pas encore être un souci en Tunisie...