L'une des révolutions les plus marquantes de l'histoire de la Tunisie, et la plus riche en enseignements Dans le cadre de la célébration du troisième anniversaire du 14 janvier 2011, organisée par le ministère de la Culture, le public a pu assister au Quatrième art à la représentation de la pièce Ali Ben Ghedhahem, Bey du peuple, produite par le centre des arts dramatiques et scéniques de Gafsa et mise en scène par Saber Hammi. Le texte est signé Boukthir Douma et est riche en poésie et en chant, interprétés du fond du cœur par les comédiens de la troupe qui ont été une quinzaine sur scène, hommes et femmes, racontant par leurs mots et leurs corps l'épopée de Ali Ben Ghedhahem, sous forme de comédie musicale dramatique. Le thème des chaînes règne sur le décor, jusqu'aux mains et aux pieds des comédiens qui font face, au début de la pièce, aux déchaînements des éléments. Ils sont emprisonnés, tenant leurs gamelles entre les mains et implorant le ciel dans une sorte de prière de la pluie. Et la nature de répondre à leurs invocations. La fin du calvaire est proche, semble-t-elle leur dire. En cette nuit pluvieuse, l'une des prisonnières donne naissance à un bébé, symbole d'un jour nouveau. Après cette naissance, la pièce se lance réellement dans la fable tissée autour de l'histoire de Ali Ben Ghedhahem, qui n'apparaît sur scène qu'au milieu de la pièce, captif et vaincu, recevant la visite du ministre des Finances Mustapha Khaznadar. Nous sommes en 1866, la révolution de Ben Ghedhahem, originaire de Kasserine, avait éclaté deux ans auparavant au Nord et au Sahel à cause du doublement des impôts par un régime beylical endetté et corrompu. Elle avait failli gagner tout le pays. Le manque d'organisation des tribus qui ont pris part à cette révolution a fini par les disperser. Entre les profiteurs, les pro-bey et les révolutionnaires manipulés, en manque de ruses et de moyens, Ali Ben Ghedhahem s'est retrouvé seul face à ses démons et à ceux du régime. Il finira accroché à une corde dans la prison de La Goulette en 1867. La pièce est construite autour des aspects controversés de la personnalité de Ben Ghedhahem. Les sources historiques ne sont pas unanimes concernant ses traits de physique et de caractère, ni son niveau d'instruction. Les siens lui reprochent de s'être enfui et de les avoir laissés à la torture et à la répression. Avec son emprisonnement, son rêve s'évanouit et parviennent à ses oreilles les informations d'accords de réconciliation des tribus avec le bey. Sur scène, les comédiennes qui étaient vêtues de blanc portent désormais la couleur du deuil. Tout au long de la pièce, à travers les dialogues, les chants, les chorégraphies et les situations, défilent tour à tour courage et lâcheté, fierté et traîtrise, espoir et défaite. Des thèmes bien exposés dans une pièce riche en sens et en émotions, et surtout bien meublée par les comédiens et par la mise en scène. A la fin de la représentation, la troupe a été applaudie et saluée par une salle à moitié remplie. A leur tour, les comédiens ont voulu saluer l'âme de leur collègue Abdelhamid Dhaoui, décédé la veille alors qu'il devait jouer dans la pièce. Ensemble, ils ont tenu une pancarte affichant son portrait, avec une phrase en arabe qu'ils avaient utilisée plusieurs fois dans la pièce, dont le sens peut se rapprocher de «on finira tous par mourir». Cette phrase exprimait l'idée que puisqu'on finira tous par mourir, quelles que soient la forme et la manière de cette mort, il vaut mieux mourir pour une cause et se battre jusqu'a la fin. Selon les comédiens, la bataille de Abdelhamid Dhaoui était l'amour de la vie et l'on devrait le suivre. Un enseignement de plus que cette pièce nous offre sur les autres et sur nous mêmes, comme elle nous apprend que seuls les dictateurs semblent retenir les leçons de l'Histoire et savoir les mettre en œuvre pour leurs propres intérêts.