Par Mohamed MEDDEB Elle constitutionnalise le droit de grève aux agents des forces de sécurité intérieure et de la Douane ! Peut-être hantée par l'échéance du 14 janvier et, donc, emportée par la volonté de faire très vite, l'Assemblée nationale constituante a voté, lundi 6 janvier 2014, l'article 35 de la Constitution, modifié selon les recommandations de la Commission des « tawafoukat » dont voici le texte intégral : Seulement, Messieurs les constituants auraient commis par cet acte, peut-être sans le savoir, de graves erreurs dont voici les contours : Cet article accorde implicitement aux agents des forces de sécurité intérieure et de la douane le droit constitutionnel de grève! Cela vient s'ajouter au droit syndical qui leur a été déjà accordé, il y a peu de temps, par cette même Assemblée sous la pression des agents concernés, sans consultation ni débat national, alors que la question revêt une grande sensibilité. L'exception de l'armée seule, parmi les corps armés, de ce « droit » soulève plus d'une question et reste incompréhensible, car de loin insuffisante. Mais avant d'aller plus loin, précisons bien que les militaires, les agents des forces de sécurité intérieure et ceux de la douane ont tous des statuts particuliers, différents de celui de la fonction publique, portent tous des armes et sont en uniforme; bref, ils constituent bien tous les trois bel et bien des corps armés/militaires. Certes, l'ANC a bien fait de préserver l'armée de la culture syndicaliste, absolument incompatible avec les valeurs militaires de discipline, de cohésion, de neutralité et, surtout, avec l'exigence absolue de continuité de leur service en tout temps et tout lieu. Les corps armés puisent leur force et leur efficacité de ces mêmes valeurs, dont le fond est resté immuable depuis la nuit des temps, et ce, partout dans le monde. N'oublions pas que ce sont bien ces mêmes valeurs qui ont fait que notre Armée nationale s'est comportée comme elle l'a toujours fait, notamment durant la révolution. Ainsi cette mesure d'exception de l'armée de ce droit(!) est bien sage, car elle est de nature à la renforcer dans l'accomplissement de sa mission. Par contre, on reste vraiment perplexe quant à la constitutionnalisation du droit syndical avec le droit de grève aux forces de sécurité intérieure et aux agents de la douane ! Imaginez un instant que des agents des forces de sécurité intérieure et de la douane soient en grève, aux postes frontaliers, ports et aéroports, ou tout simplement dans leurs administrations, ne serait-ce que pour seulement quelques heures. Gardons bien à l'esprit ce qui s'est passé dans le pays au cours des trois dernières années. Certes, nos valeureux agents des corps armés méritent et ont grandement besoin du soutien indéfectible moral et matériel de l'Etat et de tout le peuple tunisien. Quant à leur protection des abus éventuels de l'administration et du commandement, il faut d'urgence prendre les mesures nécessaires pour permettre aux membres de ces corps armés de s'exprimer dignement au sein de leurs corps respectifs sur les questions de statut et situation socioprofessionnelle, mais dans un cadre légal concerté et bien défini, de nature à préserver la cohésion, le bon fonctionnement de ces institutions sensibles de l'Etat; bref, préserver l'intérêt général. Cela est parfaitement réalisable. Messieurs les constituants, il s'agit-là de questions vitales pour l'avenir du pays et pour celui des générations futures. Vous devez y voir clair et ne pas conduire le pays vers des situations regrettables, ressaisissez-vous donc et assumez vos lourdes responsabilités historiques de constitutionalistes avant que cela ne soit trop tard. Cela nécessite seulement un peu de courage et certainement beaucoup de pédagogie.