Le sourire revient sur les lèvres de quelque 1.600 ouvriers de Jal Group. Le leader du marché européen et deuxième mondial de fabrication des chaussures de sécurité reprend du service à partir de février 2014 sur ses trois sites de la région de Bizerte. 4.000 salariés sur le carreau En juillet dernier, Jal Group décide de quitter la Tunisie, abandonnant à leur triste sort les 4.000 salariés qui opéraient dans ses unités de production de Menzel Bourguiba et de Menzel Jemil. Sans respect en fait des procédures et de la législation. Les salaires des employés et de la direction tunisienne n'ont «pu» être versés, ni l'accord sur la nécessité de régler les indemnités aux ouvriers licenciés, respecté. Ces décisions ont surpris tout le monde, surtout qu'elles venaient d'un groupe de renommée mondiale dont 80% de la production sont assurés par la Tunisie. Ce fut un coup dur non seulement pour les ouvriers qui voyaient s'évaporer leurs rêves d'un emploi stable et sécurisant. Mais également pour les autorités régionales et nationales qui avaient eu, dans le même temps, beaucoup de peine à digérer l'annonce du départ de Continental, un autre équipementier installé à Menzel Jemil et qui faisait travailler 350 personnes. Colère, sit-in, violences, arrestations Grogne dans les rangs des employés et du personnel de Jal Groupe assortie de sit-in de protestation. Mais si Continental a prévu, à l'occasion de son départ, un plan social pour tous les ouvriers avec des mesures de reclassement, il n'en est pas de même pour Jal Group qui tergiverse et va jusqu'à évoquer une interruption délibérée de la production en guise de justification de la décisison de fermeture. En réalité, et au-delà des «accusations de débrayage», des signaux forts parvenaient de France laissant deviner les énormes difficultés financières dans lesquelles se débattait le groupe. Et l'on devait apprendre que dès avril 2013, décision unilatérale avait été prise, outre-mer, de supprimer le site de Menzel Bourguiba. L'administration tunisienne avait annoncé la couleur en assurant que cette décision «avait été prise par les investisseurs du groupe». Tout en déclarant regretter la conséquence de cette décision sur les 4.000 emplois, le groupe italien dégage sa responsabilité et incrimine «une minorité d'ouvriers intransigeants et irresponsables qui ne reconnaissent ni la légalité ni la représentativité des structures syndicales». Nous devons à la vérité de dire que face à la fermeté de l'administration, les ouvriers avaient entrepris nombre d'actions allant du blocage du site aux manifestations parfois violentes et désespérées. A la mi-juillet, la tension monte et des heurts éclatent dans la ville entraînant une trentaine d'arrestations. Dialogue de sourds Des réunions de conciliation et de négociation sont organisées d'urgence au siège du gouvernorat, puis au premier ministère avec la participation des ministères de l'Industrie et des Affaires sociales, dans une tentative de désamorcer la crise. En vain, car, aussi bien les organisations syndicales que Jal Group campent sur leurs positions respectives. L'investisseur dénonçant «la non-application des accords signés» et les représentants syndicaux l'accusant de violation de la loi relative aux zones franches vers laquelle l'industriel avait annoncé dans un premier temps vouloir émigrer. Lors des réunions, nombre d'options ont été prises pour sauvegarder les emplois, telle une reprise de l'entreprise par d'autres investisseurs, mais cette mesure achoppe sur des questions juridiques épineuses surtout sur les plans de sauvetage proposés par deux investisseurs qui avaient proposé de ne reprendre que la moitié des postes. Plan d'aide sociale provisoire Dans l'attente, et pour garantir les salaires des employés, une saisie conservatoire sur tous les avoirs du Groupe est ordonnée, alors que les autorités décident une mesure d'aide sociale mensuelle de 200 D pour chaque employé ainsi que des aides pour le Ramadan et pour la rentrée scolaire. Plus de 800 mille dinars par mois sont ainsi puisés dans les caisses de la sécurité sociale. Une solution provisoire mais insuffisante pour des employés qui veulent garder l'espoir d'un retour à leur travail. Mais le versement est irrégulier et incertain. Les ouvriers maintiennent leur pression et poursuivent leurs mouvements de contestation. Le risque d'une explosion sociale est de plus en plus pris au sérieux. Sans compter que les négociateurs tunisiens cherchent à sauvegarder les emplois plutôt que d'engager un bras de fer juridique qui ne serait pas à leur avantage. Un industriel en faillite Les difficultés du groupe ne sont pourtant pas un secret. En France, le marché chute de 20% en 2008 et de 15 % en 2012. Le groupe perd de l'argent, 60 millions d'euros de 2008 à 2012. Au Luxembourg, c'est la faillite annoncée pour le Groupe. Ce sont entre autres ces raisons qui ont poussé l'entreprise à fermer le site de Menzel Bourguiba. A l'annonce de cette nouvelle affligeante, la partie tunisienne négocie avec le propriétaire et avec d'éventuels repreneurs et le ministère de l'Industrie est chargé d'étudier les solutions de reprise. Cependant, la «passivité» du gouvernement est sérieusement critiquée «n'ayant rien proposé de concret pour redémarrer l'activité du groupe». Pourtant, les autorités autant régionales que nationales n'épargnent pas leurs efforts pour trouver une solution. Pour eux, une reprise du groupe par un investisseur déjà présent en Tunisie est une solution idoine et le contact est maintenu avec M. Franco Uzzini, un industriel du secteur, ex-dirigeant de Jallate et propriétaire d'U-Power, cette société désignée à l'issue d'une procédure de faillite comme repreneur de Jal Group. Un repreneur sérieux et un épilogue heureux Les négociations se poursuivent avec M. Uzzini afin de le convaincre de reprendre Jal Group. Et c'est samedi dernier qu'une réunion dite de «la dernière chance» a été tenue au ministère des Affaires étrangères en présence de toutes les parties, particulièrement les représentants syndicaux. Une réunion qui a abouti à un accord ferme pour la reprise imminente des activités du groupe dans ses usines de Menzel Bourguiba et de Menzel Jemil. La société sera rebaptisée, devenant BARTEC. Elle s'engagerait à réintégrer 1.600 employés dans leurs postes, à mettre 144 autres employés à la retraite et à régler les arriérés de salaires et autres indemnités aux ouvriers licenciés. Epilogue heureux donc pour cette affaire qui n'a que trop duré. C'est le fruit de la ténacité, d'abord, mais elle a fait apparaître surtout les vertus du dialogue et de la négociation. A la grande satisfaction d'une importante population ouvrière qui a vécu un véritable cauchemar depuis qu'ont apparu, en avril dernier, les prémices de crise et de fermeture et que les négociations avaient très mal démarré. Il ne reste plus qu'à se mettre au travail et à éviter de «jouer» avec son gagne-pain.