Les éboueurs ont repris le travail depuis vendredi dernier. De larges opérations de collecte et de ramassage des ordures sont prévues pour les prochains jours Les habitants de la capitale ont vécu un véritable cauchemar : chaque jour, un amas indescriptible d'ordures s'offre à leur vue lorsqu'ils sortent de chez eux pour se rendre à leur lieu de travail ou aller vaquer à leurs occupations. De quoi donner le tournis et sombrer encore plus dans une déprime déjà bien installée. Où est passé ce sens du patriotisme qui a été le principal catalyseur de la révolution du 14 janvier? Comment accepter l'inacceptable, à savoir que des éboueurs soient prêts à tout pour obtenir leur fameuse prime de saleté aussi modeste soit-elle, quitte à laisser leur ville crouler sous les déchets pendant plusieurs jours sans lever le petit doigt et sans se préoccuper de la santé de leurs proches, de leurs familles et des habitants de la ville? Monticules hideux Tunis s'est transformée, en quelques jours, en un dépotoir géant à ciel ouvert. Des monticules d'ordures jonchaient les chaussées, devant les cités résidentielles, les écoles et les hôpitaux, défigurant les quartiers et les cités en leur conférant un aspect hideux. A l'origine de cette situation, il y a un groupe d'agents de la municipalité de Tunis ayant décidé d'exercer un chantage sur la municipalité pour que les accords conclus avec les autorités de tutelle, relatifs à une série de revendications, soient appliqués. La décision de faire grève a été prise sans consulter le syndicat, ce qui a créé la surprise générale. Les contestataires réclament l'application du nouveau code interne du travail, la régularisation de la situation professionnelle des 15.000 agents titularisés en 2011, l'augmentation de la prime de «saleté» et l'ouverture des dossiers de promotions, restés dans les tiroirs avec effet rétroactif et la clarification du statut des agents de la municipalité en se référant au nouveau code du travail de la municipalité. Recours à la force Pour atteindre leurs objectifs, les agents contestataires n'y sont pas allés par quatre chemins et ont eu recours à la force. Ils ont intimidé les agents qui ont refusé de se joindre à la grève, en les empêchant de ramasser les ordures. Ils ont bloqué également l'accès des petites décharges, où sont déversées toutes les ordures des communes avant d'être acheminées vers la grande décharge contrôlée de Borj Chakir. «Plusieurs agents n'ont pas voulu observer la grève, relève un responsable du gouvernorat de Tunis. Des individus les ont forcés à stopper le travail. On a bloqué aussi l'accès du parc de la municipalité, afin d'empêcher la sortie des voitures de collecte de déchets ménagers. L'accès des petites décharges où sont déversées les ordures a également été bloqué. Les agents du gouvernorat de l'Ariana ont essayé, il y a quelques jours, de collecter les ordures dans la commune d'El Omrane mais des individus leur ont jeté des pierres pour les en empêcher. Tout a été mis en œuvre pour que cette grève sauvage réussisse». La société civile à la rescousse Face à la détérioration de la situation environnementale, le ministère de l'Intérieur, les municipalités, les directions régionales et la société civile décident de prendre les choses en main. Les réunions se sont succédé à la municipalité de Tunis, au siège du gouvernorat et au ministère pour solutionner le problème. «Nous avons tenu une réunion à la municipalité avec les membres du syndicat afin de discuter des revendications des agents et de trouver les solutions pouvant satisfaire toutes les parties», relève M. Guizani, responsable à la municipalité de Tunis. Au gouvernorat de Tunis, une cellule de crise a été mise en place. Celle-ci a été chargée de coordonner les opérations de collecte et d'intervenir en cas de difficulté rencontrée sur le terrain. «Il est prévu que toutes les municipalités mettent en place des cellules de crise. Elles doivent coordonner leurs actions, explique un responsable au gouvernorat de Tunis. Lorsqu'une commune rencontre des difficultés, sa cellule de crise se charge de contacter celle du gouvernorat ou de la municipalité de Tunis, qui intervient,alors, pour débloquer la situation. Nous avons sensibilisé les ONG pour lutter avec nous contre la pollution environnementale et nous avons conclu des accords avec des entreprises privées pour qu'elles se chargent du ramassage des ordures». Entre-temps, la société civile s'est mobilisée sur le terrain. Près de cent bénévoles ont effectué une large opération de collecte des ordures, ratissant quelques quartiers de la capitale. La crise a, finalement, connu un dénouement heureux, vendredi dernier, en fin de soirée. Suite à une réunion tenue au Premier ministère, les intervenants se sont mis d'accord sur un ensemble de dates butoirs pour l'application des accords. Un épilogue qui a satisfait l'ensemble des agents qui, dès l'annonce de la nouvelle, se sont remis au travail. Les risques sanitaires de l'accumulation des déchets Explications de Mohamed Rabhi, directeur de l'Hygiène du milieu et de la protection de l'environnement au ministère de la Santé : Les risques sanitaires dus à l'accumulation des ordures sont multiples. Les déchets ménagers, constitués essentiellement de composés organiques, fermentent. Sous l'effet des réactions biochimiques, la température dans ce milieu augmente. Les germes en tous genres se multiplient, y compris les germes pathogènes, tels que les salmonelles et les staphylocoques. Ce «bouillon de culture» est également favorable au développement des insectes, notamment les mouches et les moustiques. Par ailleurs, les points noirs constituent un foyer propice à la prolifération des rongeurs. Les rats et les souris sont des vecteurs potentiels de transmission de la peste humaine. Les chats et les chiens qui se nourrissent des ordures peuvent, eux aussi, transmettre des maladies, telles que la rage humaine. Pour se débarrasser des déchets, certains citoyens les brûlent d'une manière anarchique. Les particules et les gaz toxiques, issus de l'incinération des plastiques par exemple, se diffusent dans l'air. Cette forme de pollution peut causer des maladies respiratoires et des cancers. M.D. Revendications : fixation de dates butoirs Suite à leur mouvement de contestation, les éboueurs ont finalement obtenu gain de cause. Le secrétaire général de la Fédération générale des municipalités, Naceur Selmi, a observé que toutes les revendications ont fait l'objet d'un nouvel accord au cours de la réunion qui s'est tenue au Premier ministère, vendredi dernier. Entre autres points sur lesquels ils se sont mis d'accord : le 18 février prochain, les municipalités auront un nouveau Code interne professionnel. D'ici fin 2014, la situation de tous les agents titularisés sera régularisée selon le classement professionnel contenu dans le nouveau Code. Quant à la prime de «saleté», elle passera de quatorze à trente dinars. Nouvelle stratégie du gouvernorat de Tunis La cellule régionale de lutte contre les catastrophes environnementales, mise en place par le gouvernorat de Tunis, a tenu une réunion jeudi dernier, suite à la grève des éboueurs. Plusieurs mesures ont été décidées. Outre la poursuite de la coopération avec des privés, le gouvernorat de Tunis prévoit de fournir des équipements supplémentaires aux municipalités, aux directions régionales, et à tous les autres services concernés (collectivités locales, service des autoroutes....), pour qu'ils puissent multiplier les opérations de collecte des ordures. Les cellules de crise seront maintenues au sein des municipalités. Elles auront pour rôle de trouver des solutions rapides en cas de problème. Une carte présentant les points noirs de la ville de Tunis et de sa périphérie est en cours de réalisation. Les grandes opérations de ramassage cibleront ces points noirs. Enfin, à part la décision de revoir la politique de gestion des ordures, le gouvernorat de Tunis a prévu de renforcer, à l'avenir, la coopération avec les ONG à caractère environnemental. Un fonds spécial sera créé pour elles, et on leur fournira les moyens nécessaires pour mener des campagnes de nettoyage. I.H.