Par Amin BEN KHALED «Que le soleil se lève demain est une hypothèse» (Wittgenstein) La Constitution tunisienne — en phase de vote — est un texte alambiqué, décousu et complexe. Il contient d'énormes contradictions et laissera le juge constitutionnel (qui sera amené à contrôler la constitutionnalité des lois futures) dans un grand embarras. Ainsi, si l'on résume le texte constitutionnel en dix points saillants nous nous retrouvons avec le résultat suivant : 1- L'Etat et la société tunisienne sont susceptibles de subir une «islamisation» progressive, pragmatique, légale et constitutionnelle. 2- L'Etat civil, c'est le diktat de la loi. Loi qui trouve son origine idéologique dans le rapport de forces qui animeront le prochain Parlement. Il s'agit par conséquent d'une définition formelle de l'Etat de droit (dans son action qui dépendra de l'idéologie dominante) et non pas une définition substantielle (dans son être abstrait qui doit transcender les idéologies du moment). 3- Les droits de l'Homme en tant que principe global, apriorique et transcendant n'existent pas. Il y a quelques libertés ici et quelques libertés là. 4- La peine de mort n'est pas abolie. Par contre, l'avortement pourrait bien être interdit (en se basant sur le caractère sacré de la vie). 5- L'égalité dans l'héritage n'est pas acquise. Car les hommes et les femmes sont égaux devant la loi et non pas dans la loi. 6- L'éducation doit être conforme à l'identité arabo-musulmane. L'ouverture sur les autres cultures ne constitue pas une nécessité pour les générations futures. 7- La société doit lutter contre le célibat et le divorce. La famille constitue la cellule fondamentale qui régit les liens sociaux. L'individu n'existe pas, ou existe peu. 8- La Tunisie n'est pas méditerranéenne. Son destin dépend de la géopolitique chaotique et fratricide que traverse et traversa le Maghreb. 9- L'Etat n'est pas obligé de lutter contre les inégalités sociales. Il fait ce qu'il peut dans les limites du budget disponible. 10- Les juges ont beau être «indépendants» organiquement, ils n'auront pas pour autant une grande marge de manœuvre car ils devront respecter la loi, c'est-à-dire les points énumérés ci-dessus. Evidemment ces points ne couvrent pas la totalité de la Constitution. Mais à eux seuls ils sont à même de nous donner une idée suffisante sur le sens que prendra la société tunisienne dans les années à venir. Car la Constitution n'est pas seulement un texte juridique mais c'est aussi et surtout un instrument qui permet de modeler la société à travers un discours idéologisé qui profitera, dans le cas de l'espèce, du quiproquo de certains articles constitutionnels. Que cache notre Constitution ? Le tribunal de l'Histoire, ce tribunal inique et froid, nous le dira.