Y a-t-il une philosophie africaine ? Certains pourraient le contester. Heidegger estimait que, dans son sens le plus rigoureux, la philosophie est propre à la tradition occidentale. Non que la pensée soit absente du reste du monde, mais il convient de parler alors de «sagesses»... Du reste, s'agissant de l'Afrique, on a tous tendance à considérer que le mot «sagesse» s'accorde parfaitement au continent africain et à ses traditions orales. Ce qui ne va peut-être pas sans une certaine condescendance. Comme si la dimension critique de la pensée avait effectivement sa patrie et que, s'agissant de l'Afrique, c'était davantage celle d'une éthique mariée à l'imaginaire... Mais cette délimitation a-t-elle vraiment un sens aujourd'hui ? Y a-t-il une philosophie africaine ? A défaut d'une réponse tranchée sur cette question, nous pouvons affirmer qu'il y a des philosophes africains. Le Sénégalais Souleymane Bachir Diagne en est un. Il est d'ailleurs l'auteur d'un livre paru récemment sous le titre «L'encre des savants», où il revient précisément sur cette question du «philosopher en Afrique». «Il y a une réflexion menée par les philosophes africains autour de l'oralité», répondait le philosophe à la question de savoir en quoi consiste plus précisément la philosophie africaine. Interrogé par une journaliste de RFI à l'occasion d'une conférence qu'il donnait à Paris, il poursuivait cependant : « Est-ce que la philosophie est encore possible dans une société où le régime dominant est un régime de l'oralité ? »... Autrement dit, on est en présence d'une interrogation double : sur ce qui fait la singularité de la réflexion philosophique sur le continent africain et, d'un autre côté, sur cette singularité en tant qu'elle pose la question de la condition de possibilité de la pensée philosophique... Et si la philosophie prenait naissance, ici comme ailleurs, dans le débat autour de sa propre légitimité ! Mais le philosophe sénégalais, enseignant à l'Université de Colombia à New York, part aussi en guerre contre tous ceux qui contestent à l'Afrique le droit d'avoir sa propre philosophie. Et ces derniers sont de deux sortes : les anciens colons et leurs nostalgiques, pour qui l'Afrique est avant tout un continent à civiliser et, d'autre part, les dictateurs d'aujourd'hui, qui préfèrent souligner la prédominance de la figure du chef dans la culture politique noire... Et pour qui la philosophie fait figure d'intrus : on les comprend, en effet ! Cet argument, Souleymane Bachir Diagne y répond en invoquant ce qu'il appelle la «Charte du Mandé» : «En Afrique de l'Ouest, les chasseurs mandingues se sont donné un ensemble de règles au sein de leur confrérie — une sorte de société secrète. Et ces règles affirment l'importance de la vie humaine individuelle et l'importance des droits qui y sont attachés — insistant sur les droits à l'expression, le droit de pouvoir faire ce que l'on pense faire... »... Bref, le débat est ouvert et il se pourrait bien que, dans les décennies à venir, il réserve de belles échappées...