Ses premières créations auguraient d'un style différent et d'une écriture théâtrale intéressante. Hélas... Un groupe d'acteurs réunis autour d'un projet théâtral se retrouve au cœur d'évènements politiques bouleversants et de changements sociaux incertains, un paysage trouble qui brouille la communication et handicape la réflexion et la création. Telle est l'idée directrice de «Mélétos», dernière création de Salah Ben Youssef El Felah. Entre lutte artistique et engagement politique, le discours théâtral a du mal à trouver sa place. On se croit dans une adaptation «très libre» de trois personnages, en quête d'un auteur de Pirandello, avec des personnages en mal d'être et en crise de création. Mahmoud, le personnage principal de cette pièce et le fil conducteur entre les différents protagonistes, brille par son absence sur scène. La trame de cette œuvre commence après l'arrestation de l'auteur, Mahmoud, un intellectuel militant et progressiste, qui se retrouve en prison à cause de son engagement politique dans les évènements du bassin minier de Redeyf. C'est là où Salah Ben Youssef El Felah place son histoire. Tout au long de la pièce, les autres personnages se cherchent dans l'ombre de cette absence, qui se manifeste sous forme de lettres écrites à ses amis. «Mélétos» est un retour sur les traces d'une œuvre amputée de sa tête pensante, violemment mutilée par les aléas de la vie. On se retrouve au cœur d'une gestation, d'une quête de sens, d'une recherche d'un discours théâtral qui a du mal à prendre place. Comment faire sans auteur ? Le metteur en scène explore la nature humaine et dévoile l'ambiguïté de l'être face à l'acte de création. Le spectacle résume, en quelques tableaux, les coulisses d'une troupe de théâtre à la recherche de son auteur. Au-delà de toutes ces bonnes intentions et de toute la réflexion que ce projet voulait partager avec le public, « Mélétos » est resté en deçà des attentes. Un projet resté obscur et hermétique, basculant davantage vers un exercice de style que dans une logique de partage avec un public qui a tenté, vainement, de trouver sa place dans le processus de communication entre la scène et la salle. Au-delà de la fable, le texte était d'une lourdeur infinie, hybride, entre dialectal et littéraire. Il nous rappelle désagréablement les dialogues des feuilletons télévisés des années 90. D'autant plus que les acteurs avaient du mal à le porter, encore moins à le jouer. On assiste à des scènes interminables où la parole prend le dessus sur le jeu, comme si on avait affaire à une pièce radiophonique. Les comédiens, tous sans exceptions, ont besoin de revoir leur cours de diction, tant on avait du mal à saisir leur texte. Les voix ne portaient pas, et le débit était plein de cafouillages. Parfois, on se retrouvait dans une narration des faits, avec un jeu absent et des personnages floutés. On croyait révolu ce théâtre de prise de parole directe, celui qui nous donne des leçons sur ce que le public doit aimer et ne pas aimer, comme cette scène où l'actrice Meriem Gaboudi quitte l'espace fictionnel de la scène, se couvre la tête avec un grand foulard ( l'on se demande pourquoi ) et nous lit le manifeste du théâtre, une sorte de discours didactique donneur de leçons, qui laisse transparaitre une condamnation pour d'autres genres d'œuvres et, par ricochet, pointe du doigt le public qui préfère la légèreté d'un vaudeville ou le comique d'un one man show au discours lourdaud d'un théâtre prétentieux qui prend d'en haut ses spectateurs. Antipathique fut «Mélétos» : un travail qui a eu recours à des recettes galvaudées, alternant une logorrhée désagréable qui recouvre un besoin fort de parler, sans nous donner à voir un quelconque effet visuel, avec des tableaux de danse maladroits, présentés d'une manière fragmentée qui n'a rien à voir avec l'ensemble. Même le titre de la pièce, « Mélétos», n'a rien a voir avec le résultat final : un titre qui renvoie à « Mélétos », un auteur et poète tragique grec connu pour avoir été un des principaux accusateurs de Socrate d'apostasie. Que vient faire cette référence dans cette œuvre de Salah Ben Youssef ? Une question qui reste sans réponse.