Mardi dernier, nous avons assisté à la représentation de « H'sabet » la pièce du jeune Soufiène Chebil et de la Compagnie Poética. C'était dans le cadre de la semaine consacrée par la maison de la culture Ibn Rachiq à la création théâtrale en Tunisie (du 2 au 12 octobre 2010). Il s'agit d'une création toute récente (avril dernier) qui a déjà fait son chemin et qui promet de nouveaux succès à travers le pays et également au-delà de nos frontières. Après une tournée estivale réussie, la troupe participera au mois de novembre au Festival du théâtre de Tanger au Maroc. « H'sabet » est une œuvre simple à résumer : elle met en scène le drame d'une jeune fille née d'une relation interdite et qui, par la faute de son entourage, ne retrouve plus ses repères ni les moyens de s'imposer dans la société. Drame identitaire En fait, la trame est plus complexe : parce qu'à travers le cas pathétique de cette adolescente, se profile la déperdition de toute une génération de jeunes en mal d'identité culturelle. Figurez-vous que pas un seul des héros de la pièce ne porte un nom, comme si l'auteur tenait à souligner un effacement identitaire collectif qui, à l'instar d'un torrent ou d'une rivière en crue, n'épargne rien ni personne. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si toute l'action se déroule sous une pluie battante et que les échos de la tempête extérieure parviennent jusque dans les recoins du foyer et atteignent même (ou plutôt surtout) les consciences. Chacun des personnages s'en prend à l'autre, lui demande des comptes, l'accable de reproches mais ils finissent tous par observer un silence coupable en comprenant finalement que la responsabilité est collective dans le drame de la bâtarde, engagée ironiquement comme bonne chez sa mère et son beau-père pour balayer les « impuretés » de la maison ! La fille du péché renvoie chacun à ses torts, mais la mauvaise foi des « aînés » prend le dessus et ramène le procès à son point de départ ; la pluie et le vent n'auront servi en définitive qu'à dépoussiérer un « vieux dossier » qu'on préfère garder fermé plutôt que de l'ouvrir complètement. Prouesses dramaturgiques C'est par à coups en effet, que la lumière est jetée sur les maux profonds de ce microcosme social où prévaut la fausseté et les calculs intéressés. D'ailleurs, la plupart des tableaux, notamment les plus intensément dramatiques, sont joués sous une lumière hésitante, blafarde ou franchement faible. Pire (ou mieux) encore, le plus beau d'entre tous (le 5ème, si nos comptes sont bons) se déroule au milieu des ténèbres et les faces fantomatiques des acteurs y sont à peine visibles grâce à la lumière fuyante d'une minuscule torche. Comme il s'agit d'une quête éperdue de père et de repère, les corps et les consciences semblent se chercher sans jamais vraiment se rencontrer, à cause entre autres de cet épais brouillard qui enveloppe l'atmosphère et empêche de voir clair en soi et autour de soi ; à cause aussi de ces « vieux clous » qui jonchent le chemin vers l'ailleurs salvateur et libérateur. L'immobilisme des mentalités, l'hypocrisie sociale, les tabous individuels et collectifs, l'air irrespirable du foyer, les tensions refoulées, les désirs étouffés, les haines inavouées, tout cela se lit dans divers éléments scéniques, dans les mouvements ou le figement des corps, dans les accessoires utilisés, dans la silhouette des acteurs, dans l'articulation des mots et dans les paroles des chansons répétées tout au long de cet opéra déguisé. Dommage que la voix de Sarra H'laoui (la mère) ne soit pas aussi expressive que ses déhanchements ; il y a de la marge aussi pour mieux exploiter poétiquement et dramatiquement les costumes des personnages et l'occupation de la scène. Mais même sans cela, « H'sabet » est une pièce qui force l'admiration. Rien d'étonnant à cela lorsqu'on sait qu'elle est l'œuvre d'artistes passionnés et maîtres de leur sujet ayant pour noms Soufiène Chebil (auteur, réalisateur et, dans le drame, père biologique de l'héroïne), Houssème Ghribi (le beau-père), Sarra H'laoui (la mère) et Emna Darragi (la fille du péché).