Combien de salafistes jihadistes, ces machines à tuer, sont-ils prêts à entrer en action sur le sol national ? On aurait pu penser qu'après les événements de Chaâmbi, de Raoued et récemment de l'Ariana, les sympathisants de la cause jihadiste feraient profil bas, entameraient éventuellement des révisions idéologiques, ou au moins ils feraient mine de condamner les événements ou encore d'être neutres, ou alors ils crieraient au coup monté, à l'innocence des leurs et à l'injustice. Eh bien, pas du tout ! L'affrontement meurtrier avec les forces spéciales survenu les 3 et 4 février qui s'est soldé par la mort de sept terroristes, est appelé «malhamat Raoued», une épopée. Nombreuses sont les pages qui glorifient ces sept «martyrs». Kamel Gadhgadhi, désormais Abou Sayf, est hissé au rang de modèle. On se lance à qui mieux mieux dans les récits fantastiques en rapport avec l'au-delà; les sept martyrs auraient été vus en songe par de nombreuses personnes, ils sont logés déjà au paradis et ils appellent qu'on les rejoigne. D'autres «frères» morts sous les balles des «traîtres» et des «taghouts» exhalaient l'ambre et le musc et affichaient sur leurs visages la quiétude du devoir accompli et le sourire de la foi. Il suffirait de cliquer sur des pages comme «salafiya à Ariana» ou «salafiya fél Kram», ou «millatou Ibrahim», pour évaluer l'étendue du désastre et de la mystification : les héros sont morts dans l'arène du combat, ils suivent le chemin difficile creusé par le Prophète et tous les messagers de Dieu. Un chemin qui requiert des sacrifices, qui mène à l'exil, à la captivité et à la mort. Qu'importe, puisque le but suprême est la glorification de Dieu et de sa parole. Le signal est clair, le recrutement a déjà commencé. Les appels sont lancés pour d'autres actes aux habitants des quartiers de Daouar Hicher, du Kram et d'autres, à reprendre le flambeau et à continuer sur la même voie. Quand on sait que le jihad est considéré par ces mouvances «takfiristes» comme «l'obligation absente» il y a lieu de s'inquiéter. La guerre sainte même ne figurant pas parmi les cinq obligations comme la «chahada», profession de foi, la prière, le jeûne de Ramadan, ou Zakat l'«impôt religieux», n'en est pas moins un des fondements de l'Islam qu'il faut honorer sous peine de renier sa foi. Kram alias Falouja Dans ces pages fermées une bonne dizaine de fois et ressuscitées autant de fois, ce sont les mêmes exposés qui sont relayés, la même frénésie à célébrer les arts martiaux, à glorifier la guerre sainte, à banaliser la mort, à diaboliser les corps constitués, avec ce leitmotiv de l'appel à d'autres opérations qui traverse les pages de bout en bout. En cheminant normalement dans les dédales de cette galaxie, on saura par exemple que Haykel Bader ou encore Haykel Abou Houdhaifa, l'un des « martyrs » de Raoued, était originaire de l'Ariana. Une belle photo, un petit CV et quelques témoignages. Le tour est joué pour en faire un modèle. Leurs cortèges funèbres sont considérés comme un pied de nez aux autorités et un grand moment de résistance. Des vidéos sont produites pour l'occasion, des poèmes, des chants religieux à la mémoire de ces soldats de Dieu. Ces héros martyrs au temps de l'aliénation «zaman el ghorba» qui laissent derrière eux un grand vide. Ils sont regrettés et pleurés (*). On diffuse leurs portraits, on assure que les «Hour al Ain», les fatales Houris vierges, les attendent et les appellent de leur chant de sirène. Dans une célèbre page salafiste «Lajnat massajed el Kram», l'une des premières après la révolution dans sa énième version, en raison des fermetures successives, le Kram est appelé Falouja, dans un parallèle évident avec l'insurrection jihadiste de cette ville irakienne. Le lion de la tribune Ce qui est extraordinaire, c'est qu'ils se réclament tous de cheikh Kamel Zarrouk, le lion du «minbar», la tribune. Ce serait le harangueur en chef de la salafiya jihadiya, c'est lui qui aurait succédé par la force des choses à Abou Yadh. Toujours selon ces pages, il se présente comme simple salafiste, ne revendique pas son appartenance à ce groupe considéré comme hors la loi. Il se fait discret. Mais comme on le voit sur fb, toutes les pages qui le glorifient, tous les gens arrêtés pour l'avoir défendu, sont des jihadistes revendiqués, ces mêmes pages célèbrent Ansar Charia. Il y a quelques jours, la police a donné l'assaut pour l'arrêter, s'en sont suivis des affrontements avec la population, la police a reculé. Depuis il y a eu plusieurs arrestations. Il est un fait avéré que l'ambiance dans la nébuleuse jihadiste est à la tristesse et au deuil, mais un deuil actif nourri par une soif de vengeance. Il est un fait aussi que de «nombreuses défections» sont enregistrées après les événements de Raoued, «beaucoup de frères» se sont rasés et ont réintégré la «vie civile», apprend-on au fil des statuts ! Si on comptait que dans chaque cortège funèbre, il y aurait à peu près 100 à 150 personnes, et dans chaque page, il y a de 1.500 à 2.000 fans et plus, combien de salafistes jihadistes, irréductibles machines à tuer, sont-ils prêts à entrer en action sur le sol national ? Ils sont, rappelons-le, poussés par d'autres Tunisiens partis «combattre» en Syrie qui ne cessent de leur envoyer des messages macabres, à l'instar de : «Vous n'avez que la mort devant vous». Déficit de consensus Eh oui, la lutte contre le terrorisme dans le monde entier doit s'appuyer sur un large consensus social et politique. Toutes les études ont montré que le consensus et le soutien populaire sont des éléments décisifs pour la réussite de la lutte antiterroriste. L'existence d'une nébuleuse terroriste, d'actions terroristes, de mouvances s'en réclamant ouvertement (voir les pages facebook citées) ne fait aucun doute. Il faut maintenant un consensus politique. Non pas contre le terrorisme en général, comme on si on rappelait un simple principe, mais contre ce terrorisme-là, précisément, qui vise la Tunisie. Il ne s'agit pas seulement de condamner les meurtres commis contre nos soldats. Mais plus encore de condamner ceux qui les ont perpétrés. Tout parti à référentiel religieux devrait se sentir encore plus concerné que les autres. Il y va de sa responsabilité, car ces terroristes-là partent d'un référentiel religieux et de rien d'autre. Or, un simple tour sur les pages qui se réclament du parti Ennahdha, pas un mot sur les événements de Raoued, ni ceux de l'Araina. Interpellés, les dirigeants répondent évasivement qu'ils sont contre la violence. Le déficit est aussi flagrant au niveau des hommes politiques, la condamnation n'est pas claire, sans appel, mais mitigée, enrobée dans l'habillage juridique. Quant aux médias, certains faiseurs d'opinions, ou se croyant comme tels, se veulent neutres, quand ils n'ont pas carrément pactisé avec le diable. Investissant dans leurs carrières et pourquoi pas leur prospérité, pendant que la nation est entrée en résistance de survie et joue son avenir, ils nous apprennent, sourire aux lèvres, que les terroristes sont des martyrs, des victimes, des exclus de la société, qu'il faut faire la différence entre le salafiste qui pense prendre l'arme et celui qui la prend réellement. Rien qu'en faisant un petit tour du web, il transparaît cette vérité qui fait peur, les groupes salafo-jihadistes sont en guerre contre la Tunisie et son peuple qui n'adopte pas leur idéologie, leur lecture des textes sacrés, et au final, leur mode de vie. Une guerre ouverte, revendiquée et assumée. Les appels à la vengeance, au soulèvement et au jihad sont légitimés. On ne s'en cache plus. On se croirait dans un pays autre, en Somalie ou en Afghanistan, mais certainement pas en Tunisie. Au-delà du laisser-faire, laisser passer, érigé en loi ces trois dernières années, le terrorisme a bénéficié d'un déficit persistant de la décision politique, autrement dit, d'un parapluie de protection. –––––––––––––––––––––––––––––– * Un des liens qui glorifient les martyrs de Raoued http://www.youtube.com/watch?v=pNoOsQh87pc&feature=youtu.be