Il ne fait plus aucun doute que le terrorisme a déclaré la guerre à la Tunisie. Et il est tout à fait superflu aujourd'hui de savoir si la Troïka a une part de responsabilité ou pas. Chacun a sa propre opinion. Le problème est ailleurs. Depuis plus d'un an que la Tunisie est secouée par des assassinats politiques et depuis quelque temps, les responsables, notamment relevant des partis au pouvoir, construisent leurs argumentaires autour de la non-originalité du cas tunisien ; les crimes politiques se sont multipliés ailleurs. Olof Palme en Suède, Aldo Moro en Italie, le préfet Erignac en Corse, JFK aux Etats-Unis. On peut répondre à cela que la comparaison n'est pas valable. Dans aucun de ces cas invoqués, il ne s'agissait d'assassinats motivés par des considérations religieuses. De plus, les autorités de ces pays n'ont pas banalisé les meurtres, ni surtout accusé l'opposition d'instrumentaliser les faits, ni la presse de dramatiser. Maintenant que le mal est fait, peut-on s'interroger si le terrorisme est inévitable ? Prétendre que ce fléau est une fatalité, au regard de la situation régionale, et en rappelant les événements de Soliman et de Djerba, est une pure manipulation. Nous sommes en présence, aujourd'hui, d'actes multipliés à l'échelle nationale, consolidés par une toile qui a eu le temps de se tisser à travers le pays. Résultat, les actes sont de plus en plus effrontés. Les exécutants prennent de l'assurance. Ils se réunissent, appellent au Jihad publiquement, incitent au meurtre nominativement. Ils ne se cachent plus pour commettre leurs forfaits, agissent en plein jour, à visage découvert. C'était le cas des deux assassinats des leaders Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Samedi dernier, un véhicule de la gendarmerie a été visé par l'explosion d'un engin piégé, à La Goulette. Cependant, par les attentats contre l'armée, la violence du massacre et la mutilation des corps, le terrorisme vient de franchir un nouveau palier chez nous. Permis de tuer Avant cela, un processus graduel d'embrigadement a été mis en place. Séduire par le verbe et tenter de convaincre par la mise en avant des hautes valeurs humaines que cet islam radicalisé entend honorer. En deuxième étape arrive la conversion. Déclarer l'allégeance à l'imam-guide-émir du groupe. L'exclusion des autres s'enchaîne en troisième étape. Cette vision radicale signifie, justement, que seuls les Jihadistes comprennent l'essence même de l'islam, ainsi que la portée des messages du prophète. La première de ces vérités : les non-musulmans sont des ennemis, également les musulmans non pratiquants sont des apostats. Arrive enfin cette étape dangereuse du takfir (excommunication). Ce passage permet de relier les deux bouts. Les mécréants sont des ennemis, des « Taghout » (ennemis de Dieu). Il suffit alors de décréter que quelqu'un est apostat, ennemi de Dieu, pour qu'il devienne licite, et même recommandé, de le tuer, de faire couler son sang. Nous y sommes ! Les Tunisiens connaissent le terrorisme pour l'avoir vu de près et avec effroi sévir chez les voisins Algériens. Sommes-nous jetés dans cette spirale, sans être pourvus des mêmes moyens ? Le ministère des Affaires religieuses a lui-même avancé le chiffre de 500 mosquées contrôlées par des radicaux dans tout le pays. Qu'a-t-il été fait contre ça ? Et que faire, lorsqu'on présente les salafistes radicaux comme nos enfants ? Lorsqu'on reçoit leurs représentants à Carthage ? N'est ce pas une manière directe de légitimer leur discours et au final leurs actes ? En Tunisie, les auteurs des appels au jihad, à la haine, au meurtre, à Douar Hicher, sur l'avenue Bourguiba, sous les murailles de Kairouan, sur les plateaux de Tv, sur les pages Facebook, sont nombreux et restent, à ce jour, impunis. Pourquoi en est-on là ? Le jihadisme en Tunisie a bénéficié d'un terreau favorable pour recruter, former, laver les cerveaux puis actionner. Au climat instable hérité de la révolution, s'est ajouté un autre laxiste, qui a permis aux groupuscules jihadistes de se former, de s'entraîner, de se munir en artilleries parfois lourdes, et maintenant de passer à l'acte. Il reste à dire que de plus en plus de voix s'élèvent pour demander un nouveau gouvernement dont la première priorité serait la lutte contre le terrorisme. Les Tunisiens ont fait la révolution pour la liberté et la dignité, ils se trouvent à espérer aujourd'hui un gouvernement qui lutterait contre le terrorisme. Enfin un détail qui veut tout dire, Mokhtar Jebali, célèbre prédicateur par ses harangues jihadistes et ses appels au meurtre, a prononcé hier l'oraison funèbre. Une ultime insulte à la mémoire des morts.