Par Hamma Hanachi Une femme parmi les rares choisies dans le gouvernement. Sa nomination a commencé par des chuchotements amplifiés en vacarme ; pour avoir visité Israël dans le cadre d'une mission, elle fut accusée de tous les noms : traîtresse, sioniste et on en passe... Offenses, insultes et grossièretés, elle figure sur les premières pages des journaux et son nom provoque des débats, sinon des polémiques avec, au final, une démission qui lui fut refusée par le Premier ministre. Comme un météorite, elle chute au ministère du Tourisme. On la découvre éminemment humaine, rires fréquents et caractère plutôt enjoué, sans fracas. Elle gesticule, mélange le français à l'arabe et vice versa. Elle ne fait pas dans la nuance, bouscule les habitudes, déclare laisser de côté les études et autres analyses, recommande des actions, rien que des actions. Son style tranche avec celui de ses prédécesseurs. Pas de demi-mesure, on l'accepte ou on la refuse. En attendant les résultats de son exercice ou son bilan après le temps de grâce, elle se jette à l'eau, elle bouge, rencontre les professionnels, accompagne en personne une délégation officielle anglaise en visite aux souks. Et mise fort sur la synergie entre le tourisme et la culture. Première action d'envergure. Un méga-concert dans le sud. Beaucoup l'attendent au tournant, le sud étant une zone sinistrée, les professionnels n'ont que doléances et rage au cœur. Elle plonge la tête en avant, convaincue qu'il y a toujours dialogue. Un concert géant en pleine crise sécuritaire, peu de temps après les assassinats ? Elle y va sans hésitation, histoire de rassurer les marchés et d'apaiser les professionnels. Le festival des Dunes électroniques fait grand bruit, les médias se sont déplacés en nombre. Les amateurs de musique électronique et de soirées-raves, les fêtards, les artistes et les curieux répondent à l'appel. Des charters et des personnalités ont fait le déplacement, parmi lesquels Jack Lang, le directeur de l'Institut du monde arabe, et des ambassadeurs, tous à l'assaut de Ong Jmel. La ministre, en baskets, micro en main, enflamme la foule, comme si elle exprimait par ses paroles et gestes l'éveil des consciences. Des DJ tunisiens et européens à l'œuvre, une organisation remarquable, plusieurs milliers, entre 400 mille et 800 mille visiteurs : la région n'avait pas vu autant de touristes depuis longtemps. Message au Tour opérateurs : dans cette région touristique, boudée depuis la révolution, la vie continue, paisible, sans violences ni assassinats. Les hôtels, ou ce qu'il en reste, sont pleins, le commerce va et le sourire revient sur les lèvres. Musique et danse du matin au soir. L'écho est retentissant, on l'entend au-delà des frontières, radios et télés en parlent avec éloges. L'événement a noyé la blogosphère et inondé les sites d'informations. Réussite. Cette grosse machine événementielle ne devrait pas cacher d'autres actions, fugitives, moins tonitruantes, assez discrètes et sans gros budgets. C'est une forme de happening, une prestation spontanée, un événement créé comme il se doit par des jeunes, dirigés par Bahri Ben Yahmed, concepteur de l'idée et président de l'Association « Danseurs citoyens ». Ils ont pour principe de danser en dehors des murs et devant le public. Leur but est de démocratiser les arts dits élitistes et de valoriser la danse, un art quelque peu orphelin. Généreux, partageurs, ils veulent donner le sourire au citoyen et, puisqu'il y a un début à tout, ils aspirent à susciter un minimum d'émotion. Conscients des difficultés, ils agissent sur la durée. Leur premier fait d'armes est récent. Il date d'il y a un an : en réponse aux violences des extrémistes, ils imaginent un projet de «résistance», (belle combinaison), une série d'actions sous un slogan de résistance et de combat «Je danserai malgré tout». Lieux privilégiés, des endroits d'attroupement, marchés hebdomadaires, Zahrouni, Sidi Bouzid, Thala, Nefta, etc. Danse, musique et échange d'idées sans limites, avec les populations. Cette année, un autre projet prend corps. Il a pour nom Street Dream. Il y a peu de temps, la petite troupe a assiégé une travée du marché central, entre chalands et marchands. Les artistes-activistes exécutent des danses : rassemblement, étonnement, questions, discussion et plaisir. Récemment, à une heure de trafic dense, les usagers du train Tunis - Goulette - La Marsa (TGM) ont été surpris de voir monter dans l'une des rames une compagnie de jeunes : de la musique retentit, des pas de danse, un ballet, une chorégraphie. Les rêveurs artistes, pacifistes, déclinent leurs chansons sous des aspects imaginatifs, utopistes. Des gens râlent, d'autres apprécient, un débat est provoqué. La partie est gagnée. L'une comme l'autre, ces actions artistiques ont pour fonction de donner le sourire, de libérer les énergies, de nous aider à vivre et, qui sait, de nous comprendre mieux.