Je danserai malgré tout n'est pas, en fait, une simple réaction à tant d'agressions que subissent les artistes depuis la révolution, mais une réflexion, aussi, sur la danse, cet art mal aimé, ainsi qu'une appropriation de la rue. Ne vous étonnez pas si, par un jour de soleil, vous croiserez sur votre chemin quelqu'un qui danse en pleine rue ! Ne restez pas immobiles à le regarder. Dansez avec lui... Ce n'est pas un spectacle de rue, ce n'est pas une animation, encore moins un happening, c'est une appropriation de l'espace public pour danser tous ensemble et laisser notre joie de vivre s'étaler au grand jour. Je danserai malgré tout est une initiative dont la publication sur la toile et les réseaux sociaux a fait l'effet d'une brise fraîche chez ses utilisateurs, et le nombre de partages et de clics a dépassé les 120 mille. La première «performance» a eu lieu en mars 2012. Les deux danseurs et initiateurs de cet « objet dansant» qui étaient présents, avec d'autres, sur les marches du Théâtre de la Ville de Tunis à fêter la Journée mondiale du théâtre, se sont fait agresser par des barbus déchaînés contraignant les artistes à quitter l'espace public, les poussant à se réfugier à l'intérieur du théâtre. «Dans cette agression, j'ai vu une interdiction formelle aux artistes de l'espace public, ce qui revient à dire que l'art et les artistes ne peuvent être qu'institutionnels, formels et élitistes n'ayant pas droit à la rue», explique Bahri Ben Yahmed, danseur et cinéaste. «Ce jour-là fut le déclic. La première performance a été réfléchie avec Chouaïeb Brik, un ami danseur et président de l'association « Art solution ». On s'est installé au beau milieu du jardin du Passage, sans musique ni artifice, et on a commencé à danser. Certains passants nous regardaient, d'autres essayaient d'ignorer notre présence...», ajoute-t-il. Apparemment, ils ont pris goût à l'aventure. Pour la deuxième performance, de nouveaux danseurs ont rejoint le groupe, et la troisième performance s'est faite sous la porte de « Bab B'har » (avenue de France), des percussions ont pris place dans un café pour accompagner la danse. Les gens ne sont pas des spectateurs, ils font partie de la mise en scène. Une fois passé l'effet de surprise, le partage commence, chacun y met du sien, de sa bonne humeur et de sa joie de vivre, malgré tout... Je danserai malgré tout n'est pas, en fait, une simple réaction à tant d'agressions que subissent les artistes depuis la révolution, mais une réflexion, aussi, sur la danse, cet art mal aimé et ignoré par le ministère de la Culture depuis des lustres, et c'est par cette initiative que Bahri et son collectif revisitent la démarche artistique sur ce qu'on ne cesse de nommer la culture alternative. « C'est quoi la culture alternative aujourd'hui ? Je me suis posé la question, explique Bahri, ce à quoi nous avons assisté depuis la révolution ce sont ces artistes qui étaient, du temps de la dictature, exclus du système et qui sont aujourd'hui là pour revendiquer leur place dans le système! Alors que la culture alternative doit inclure, de facto, la création de toute une nouvelle logique de création, de représentation et de diffusion », conclut-il. Je danserai malgré tout est un projet parmi d'autres de ce groupe d'artistes réunis dans le cadre de l'association « Art solution », une association qui prend les devants et qui n'attend pas qu'on lui concède des miettes du ministère de tutelle. Des rendez-vous sont prévus, dont un grand concours de break dance, des workshops et d'autres rencontres en pleine rue. Alors, n'hésitez pas, participez à la danse.