Lorsqu'une collectionneuse d'œuvres d'art, férue d'art contemporain appartenant à un groupe d'industriels tunisien mécène, rencontre l'artiste Nicène Kossentini, photographe, vidéaste et peintre, il en sort une belle exposition composée d'une œuvre photographique et d'une peinture sous verre baignées dans une lumière éclatante d'essence spirituelle. Lieu de l'exposition : " La Boîte ", espace d'art contemporain niché dans les bureaux du groupe à La Charguia. Le mot " Allah ", qui vibre et se répète indéfiniment en caractères microscopiques à l'encre de Chine sur une peinture sous verre à l'arrière-plan blanc (une calligraphie ou un code informatique ?)… Une femme dont les traits du visage voilés d'une sombre chevelure épaisse restent anonymes. Habillée d'une large robe blanche (une sainte vierge ou une derviche tourneuse ?), elle adopte différentes postures (douze en tout) : prière, soumission, lâcher-prise, béatitude, méditation, extase spirituelle, danse, transe… La toile à l'encre de Chine placée juste en face de la série de douze photos aurait-elle été à la source du déclenchement de cet élan de ferveur ? La dame blanche serait-elle en train de pratiquer le " dhikr ", cette invocation du nom d'Allah d'une manière répétitive et rythmée que les soufis privilégient tant pour purifier leurs âmes ? Et invoquer la lumière divine ? En fait, Nicène Kossentini, l'auteur de ces deux œuvres, artiste habitée par une sensibilité à fleur de peau, connue jusqu'ici pour son travail de vidéaste évoquant la fragilité des êtres, la fugacité des choses et la douce mélancolie du temps qui passe, a beaucoup travaillé sur la lumière. Elle s'est appliquée à densifier l'éclairage de ses photos de telle sorte que ne subsiste aucun soupçon d'ombre portée. Ce qui démultiplie la profondeur du champ. Saturée de blancheur, " La Boîte " appuie cette idée de la lumière primordiale, transcendantale. Celle ressuscitant peut-être l'origine du monde… " Je voulais que le modèle se fonde dans l'espace, que le corps fusionne avec le lieu. La teinte de sa robe a été d'ailleurs choisie en fonction de ce concept ", souligne Nicène Kossentini. Portée par une quête de techniques enracinées dans un patrimoine artistique, qui exprimeraient des émotions contemporaines et d'autres formes esthétiques, Nicène, dont le souci premier semble aujourd'hui de retrouver le geste qui rattache à un passé, à des repères, tombe sur la peinture sous verre et plus particulièrement sur l'œuvre d'un artiste ayant vécu à Sfax à la fin du XVIIIe siècle, Fériani. S'engage alors au même moment la réflexion sur la série de photos. Les deux œuvres menées en parallèle finissent par dialoguer, par se nourrir l'une de l'autre… " Je suis dans un carrefour. J'aime trouver par moi-même des techniques qui racontent mes idées. L'héritage peut représenter une des voies de la continuité ", affirme Nicène. De son travail de vidéaste, l'artiste a gardé ce goût de la séquence. Les photos se suivent comme au cinéma selon un ordre et une interprétation choisis par Nicène Kossentini. Elle continue également à pratiquer un art en noir et blanc qui part parfois vers l'abstraction et se rapproche toujours d'un minimalisme à chaque fois plus abouti : le peu qui exprime le plus. La série de photos portant un titre sibyllin " Ils l'ont trompée en disant… " ainsi que le tableau de peinture sous verre remplissent le spectateur d'une sensation de plénitude, le réconcilient avec l'unicité de son être, avec le vide, avec les origines du monde… Encadrée à Paris et tirée sous plexiglas pour une durée de vie d'au moins cent ans, la production de l'exposition selon des normes internationales n'aurait pas été possible sans le concours généreux de la dame mécène, sans sa confiance et sa complicité avec l'artiste. Son objectif est également de faire découvrir aux cadres et à tous les employés de l'entreprise les joies et les mystères de l'art contemporain. Et tous ses supports et possibilités pour dire la complexité des hommes et des femmes des temps modernes…