Classer les gens selon leur religion aura de graves conséquences et aboutira à l'exclusion sur la base des cultures Les décalages observés entre les processus révolutionnaires et postrévolutionnaires arabes sont parmi d'autres sujets à l'étude de la part d'un gotha de chercheurs et penseurs arabes. En effet, le troisième congrès annuel des sciences sociales et humaines qu'organise le Centre arabe des recherches et d'études politiques, dirigé par le chercheur et ancien député arabe israélien Azmi Bishara, se tient à Tunis depuis jeudi pour une clôture prévue ce soir autour de l'avenir des révolutions arabes. Deux thèmes majeurs y sont programmés. Le premier traite des périodes transitoires et le second est consacré aux politiques de développement et aux défis de la révolution dans les pays du printemps arabe. Lors de la cérémonie d'ouverture, le directeur de l'Institut tunisien des études stratégiques (Ites) relevant de la présidence de la République a prononcé un discours au nom du président Moncef Marzouki, qui s'est excusé de ne pouvoir assister, à la rencontre tout en exprimant son soutien à ce rendez-vous d'éminents chercheurs et penseurs arabes sur la terre tunisienne, berceau des révolutions arabes. Dans son allocution, Marzouki a insisté sur la marginalisation des intellectuels sous la dictature et leur exploitation à des fins politiques. Evoquant les menaces qui guettent les révolutions arabes, il a indiqué que la violence et l'héritage en fissures de nature ethnique et sectaire ont abouti à une déviation de ces révolutions de leurs itinéraires initiaux, loin du changement démocratique espéré. Appelant à l'union des forces démocratiques autour des objectifs de la révolution, il a mis en garde contre le retour de la dictature sous des formes plus ardues. La transition entre étape et objectif Tout en se félicitant de la réussite de l'expérience tunisienne, Marzouki espère voir ce processus démocratique aboutir dans sa totalité. Il a, d'autre part, relevé les contradictions existantes, notamment entre les aspirations en matière de modèle de développement et la réalité des besoins sociaux revendiqués, d'une part, et entre les pressions des institutions financières internationales et les spécificités nationales, d'autre part. Des contradictions auxquelles ils faut trouver l'équation adéquate, tout en pensant à la complémentarité économique maghrébine et arabe. Pour sa part, le penseur Azmi Bishara s'est attardé sur la théorisation en matière de périodes transitoires. D'après lui, il n'y a pas de théorie à suivre dans ce sens vu la nature de la transition qui n'est pas une étape historique à part entière et vu qu'elle n'aboutit pas à sa régénération dans l'étape qui la suit. Bishara a vivement critiqué la tendance qui a prédominé dans les pays arabes, là où les gouverneurs ont exploité la théorie du transitoire vers l'unification des Arabes, dans sa portée nationaliste, pour s'emparer du pouvoir des décennies durant mettant ainsi en place des dictatures. «Il faut considérer l'étape transitoire de par son programme et non en tant que période de l'histoire en soi», a-t-il expliqué. Azmi Bishara a appelé à la sensibilisation des hommes politiques pour qu'ils adoptent un comportement qui prône la mise en place des conditions à même de faire réussir l'étape transitoire, alors que certains secteurs, dont les responsables proviennent de l'ancien régime dictatorial ne sont pas concernés par le changement et moins par la démocratie. Démocratie et glissements Bishara a mis en garde dans ce sens contre la déviation du principe de la majorité démocratique en une majorité ethnique basée sur le principe de l'identité. «C'est un danger qui menace les sociétés et provoque des fissures et ainsi le retour de la dictature, ce que nous avons malheureusement expérimenté à l'Orient arabe. Il faut résoudre le problème de consensus autour de la notion de démocratie et ses péripéties avant d'entamer la discussion autour des principes de la transition. Il faut instaurer les règles de l'égalité dans la citoyenneté avant que le conflit entre les partis politiques ne s'aggrave, alors que la majorité d'entre eux appartenaient à l'ancien régime. Le glissement vers la classification des gens selon leur religion aura des conséquences énormes et engendrera une exclusion sur la base des cultures, loin des principes de démocratie. Dans ce sens, il faut appliquer avec fermeté les principes de la justice transitionnelle et appliquer des politiques de développement rapidement, ce qui sera douloureux pour certains qui étaient favorisés auparavant», a enchaîné Azmi Bishara. Les volets social, économique et politique dans les processus révolutionnaires arabes ont été, d'autre part, traités par les chercheurs et penseurs arabes en matière de sciences sociales et humaines interférentes, et ce, lors de plusieurs workshops tenus durant la journée d'hier. Vingt-quatre chercheurs et experts de divers horizons arabes participent aux travaux du séminaire autour du thème de la transition, alors que dix-neuf autres spécialistes prennent part au débat en matière de politiques de développement. Aussi des docteurs, analystes et conférenciers de diverses spécialités et autres responsables dans plusieurs institutions et organismes internationaux participent à cette 3e édition du congrès annuel des sciences sociales et humaines en tant qu'invités. Pour ce qui est de la journée d'aujourd'hui, d'autres débats sont programmés autour des expériences arabes et mondiales en matière de transition et de politiques de développement. Aussi, sera décerné le prix de cette 3e édition pour les publications académiques arabes pour l'année 2013-2014.