De notre envoyé spécial au Caire : Lassaâd BEN AHMED La Tunisie parmi les pays dont les inégalités sont restées stables de 1975 à 2006 « Sans justice fiscale, il n'y a point d'égalité de chances ». C'est l'une des conclusions les plus pertinentes du Pr John Roemer, chercheur à l'université de Yale, fortement acclamé par un public de 250 économistes, universitaires et doctorants réunis à l'occasion du congrès annuel du Forum des recherches économiques, du 22 au 24 mars au Caire. Ce Forum à but non lucratif qui siège au Caire et fédère plusieurs pays de la région, dont la Tunisie, a choisi le thème de «Justice sociale et développement économique » pour célébrer son 20e anniversaire, répondant à une exigence persistante partagée par les pays ayant connu des soulèvements populaires, soit de trouver des solutions (sérieusement revendiquées depuis plus de trois ans) à la marginalisation et aux inégalités sociales. D'une certaine manière, le Forum met la recherche à la disposition de la politique pour résoudre cette anomalie. Au niveau terminologique, la question de « l'équité sociale », baptisée aussi « justice sociale », renferme plusieurs définitions. Certains la définissent comme étant l'égalité absolue entre les individus, d'autres la considèrent comme un rétrécissement des différences entre les riches et les pauvres et plusieurs chercheurs admettent que « la justice sociale » implique de favoriser les mêmes chances à toutes les personnes pour réussir dans la vie. Le Dr Ahmed Jalel ,directeur du Forum avance à ce propos: «Il est possible de juger si les gouvernements sont justes ou non par la mesure de leurs réussites à démocratiser les conditions que l'individu ne peut maîtriser ». Les politiques de l'enseignement et l'accès aux services de santé en constituent des pistes pour réaliser cette équité. Dans ce même ordre d'idées, le Pr François Bourguignon, de l'Ecole de Paris de l'économie, insiste sur le fait qu'il ne faut plus se limiter à la variable « revenu par tête » pour mesurer cette égalité/inégalité. Il faut prendre également en considération, selon lui, les rapports à la fiscalité, la corruption dans le secteur public, les parts de la consommation et l'accès au confort. Sur ce point, il est rejoint par le Dr Marc Fleurbaey de Princeton University qui évoque un nouvel index du développement économique, celui de la qualité de la vie. Q.O.L. ou Quality of Life est un indicateur pour évaluer le niveau de vie. Il ne prend pas en considération uniquement le revenu, mais tous les éléments contextuels de la vie d'une personne, y compris le rapport aux amis et à la famille. C'est dans cette optique, d'ailleurs, que le Pr John Roemer explique le rapport entre développement économique et développement humain. Et il cite en exemple, qu'une famille de deux personnes ayant un revenu annuel de 30 mille euros, ne vit pas au même niveau qu'une famille de quatre personnes ayant le même revenu. La vérité des chiffres Les chiffres communiqués lors de la première journée de ce congrès montrent que les inégalités se sont creusées davantage entre 1975 et 2006 dans les pays à fort revenu plutôt que dans les pays en développement ou à faible revenu. En Tunisie et au Maroc, l'étude révèle que les inégalités sont restées stables lors de cette période, alors que dans d'autres pays, ces inégalités sont en train d'être réduites. Pour ce qui de l'aggravation des inégalités, l'exemple des Etats-Unis est édifiant : 5% de la population détient 50% des revenus. Les inégalités sont également relevées au niveau de la collecte des impôts, puisque les personnes considérées comme riches ne contribuent qu'avec 39% des ressources fiscales, alors que le reste est assuré par « les pauvres », d'où d'ailleurs l'action des indignés de Wall Street. Cela signifie, en d'autres termes, que les politiques fiscales adoptées par les Etats sont déterminantes dans la consécration de l'équité. Or, si les gouvernements s'aventurent à augmenter significativement les impôts sur « les riches », ces derniers finiront par fuir vers d'autres pays, les paradis fiscaux par exemple. « Ces riches ont des amis chefs d'Etat, ils ont les moyens d'influencer les politiques et les médias », souligne le Pr Roemer. D'où l'appel à soumettre les personnes à forts revenus à des mécanismes différents de fiscalité, de sorte à concrétiser l'équité sociale. Les débats dans le cadre de ce Forum ont révélé certaines expériences réussies. A méditer. L'ERF en bref L'Economic Research Forum a été créé en 1993 en tant que centre régional à but non lucratif ayant pour mission de conforter la recherche économique en vue d'améliorer la qualité et contribuer au développement durable dans la région. L'un de ses principaux objectifs consiste à développer des compétences académiques solides dans la région et à développer des recherches de haute qualité. Le centre est financièrement appuyé par des donateurs régionaux et internationaux.