C'est indubitable : la Tunisie d'après le 14 janvier 2011 est un vaste chantier de réformes politiques, économiques et sociales. Parmi ces réformes à entreprendre il y a lieu de citer le système fiscal tunisien qui, en l'état actuel des choses, constitue une source d'iniquité et un frein au développement de l'entreprise économique et à l'amélioration du niveau de vie des salariés. Principes d'imposition, règles de l'assiette, taux appliqués, champ d'application, procédures fiscales et lois en rapport doivent faire l'objet d'une réforme réfléchie afin d'aboutir à un système fiscal qui s'applique à tous les contribuables sans exclusive, qui rééquilibre le rapport administration fiscale - contribuable qui garantit à ce dernier de bénéficier pleinement de ses droits. Il s'agit également de tourner définitivement la page d'avant le 14 janvier 2011 qui a vu des abus du contrôle fiscal, des fraudes et des évasions fiscales criantes et restées impunies, des redressements abusifs, une pression fiscale qui ne tient pas compte des intérêts des fonctionnaires et salariés, une mauvaise application, interprétation, imprécision, éparpillement ou carrément absence de textes fiscaux, une fréquence élevée des amendements des textes fiscaux en une période relativement courte (une décennie), une faible maîtrise de la matière fiscale par certains préposés administratifs, des dispositions fiscales qui — selon le cas — nuisent ou bénéficient à tort à l'entité productive, une rémanence fiscale ou maintien de taxes qui auraient dues être éliminées du coût d'un produit ou d'un service, et autres injustices fiscales qui n'ont désormais plus de place en cette Tunisie nouvelle. Nul n'ignore cependant le rôle important joué par la fiscalité dans toute économie et notamment par l'impôt tant direct qu'indirect (principale ressource de l'Etat), à travers notamment sa redistribution, mais encore faut-il que l'imposition soit conforme à la réalité économique et sociale du pays et favorise et l'entrepreneuriat et le bien-être des ménages. Autre facteur à ne pas occulter : la qualité du droit fiscal comparé des pays partenaires et concurrents qui a bien pris en compte la mondialisation et le démantèlement des frontières économiques et douanières pour améliorer l'attraction des investissements directs étrangers qui restent par les temps qui courent une composante essentielle de la croissance économique. Bien qu'il ait été abaissé — depuis 1990 — tant pour les personnes physiques que morales, le taux d'imposition reste élevé, de l'avis de nombre d'experts avisés, compte tenu du fait que les prélèvements fiscaux effectués,rapportés aux résultats économiques, demeurent de loin supérieurs aux taux d'imposition affichés. D'ailleurs la pression fiscale demeure relativement élevée, aux alentours des 20%. Les experts sont unanimes : le système fiscal tunisien continue de souffrir de nombreuses carences et lacunes d'avant la réforme de l'année 1990. Le concept d'équité fiscale reste, en effet, au centre des débats parfois divergents. Parce que l'impôt est un instrument de réalisation de la justice sociale et qu'il est stipulé dans les textes que l'impôt est un prélèvement obligatoire sur les revenus des contribuables qui doit se faire, toutefois, "d'une manière équitable, en respectant le principe d'égalité". Par équité fiscale, il faut entendre que chaque contribuable — qu'il soit personne physique ou morale — doit être appelé à payer selon sa capacité contributive et sans toutefois mettre en cause son bien-être (personne physique) ou sa pérennité (personne morale). D'ailleurs la non-prise en compte de ce paramètre d'équité fiscale risque d'abord d'altérer l'efficacité du système fiscal en place, ensuite d'aggraver les inégalités et enfin de conduire à terme à l'inefficience économique et sociale. Les failles du système Le régime forfaitaire, par analogie au régime réel, ne semble plus d'actualité avec la réalité économique de nos jours et avec le niveau de rentabilité réalisé. Ainsi, ce procédé simpliste et inéquitable continue de favoriser une dense évasion fiscale, car dans nombre de cas, le chiffre d'affaires déclaré est largement minoré. Il y a lieu donc de remettre en cause ce système forfaitaire. Autre distorsion : l'importance de l'impôt indirect : plus de la moitié des recettes fiscales (dont le tiers est constitué de la taxe sur la valeur ajoutée) en Tunisie proviennent de cet impôt qui, en ne tenant pas compte de la capacité contributive, sanctionne lourdement les ménages à faibles revenus. Il y a aussi la question de la restitution du trop perçu au contribuable. Ce dernier, face à la lourdeur des procédures, est souvent contraint d'abandonner son dû. Pour parer à cette entorse, une restitution automatique et rapide doit être mise en place. Les taux d'imposition régissant les revenus des salariés restent assez élevés, en dépit de la progressivité appliquée. Illustration : le barème de 25 à 30% appliqué aux revenus salariaux d'un cadre moyen se passe de tout commentaire et ne concorde pas avec le coût de la vie de plus en plus élevé et qui érode le pouvoir d'achat des salariés. D'ailleurs, le comble de l'injustice apparaît lorsqu'on compare la charge fiscale acquittée par les différentes catégories socioéconomiques : dans nombre de cas, des salariés, cadres moyens, paient plus d'impôt que certaines activités libérales de loin plus rentables ou même de nombre d'entreprises économiques ! Ainsi, ce sont les salariés, qui ne peuvent échapper à la retenue à la source, qui supportent la plus grosse charge d'imposition. Aussi, pour plus d'équité, il y a lieu d'augmenter dans le barème actuel, les tranches de revenu imposable des personnes physiques et de tenir compte du taux d'inflation moyen. Autre injustice : le principe de retenue de 50% du montant de la taxe sur la valeur ajoutée imposée à l'entreprise. De la sorte, la trésorerie de cette dernière se trouve souvent en difficulté. L'équité c'est aussi : répondre à cette la palissade "A revenu égal impôt égal". L'équité est aussi dans la redistribution de l'impôt et des taxes. Levier de la politique économique, l'impôt permet une réallocation des ressources qui doit également se caractériser par l'équité. En effet, une judicieuse redistribution est de nature à accentuer l'efficacité de lapolitique économique en vigueur. Pour optimiser le système fiscal tunisien, il s'agit également de parer à la complexité des procédures, à la lourdeur bureaucratique et d'adapter ce système à la réalité économique et sociale et même psychologique. Partant du fait que la fraude fiscale impunie crée des distorsions entre les différents agents économiques et un sentiment de frustration chez ceux qui s'acquittent convenablement de leur dette fiscale, il y a lieu de mettre en place un traitement efficace, sur un pied d'égalité, de tous les auteurs de fraude fiscale ou de fausse déclaration, avec à la clé, la modernisation du contrôle fiscal, le renforcement des services à distance, sans omettre l'importance de l'effort de sensibilisation et de communication qui revêt un caractère préventif notoire. Enfin, la réforme devra concerner aussi l'amélioration de la relation contribuable-administration fiscale, pour une meilleure qualité de service et une meilleure façon au contribuable pour faire valoir ses droits et défendre ses intérêts. Autre élément à revoir : la politique des incitations fiscales (exonération ou abattement) pour stimuler la création des entreprises et l'attraction des investissements, notamment directs étrangers. Sachant que l'absence de réforme à ce niveau coûte énormément à la communauté tout entière, notamment compte tenu de l'évasion et de la fraude fiscales ou encore des délocalisations déjà entreprises par nombre de groupes dans des pays voisins ou africains où la fiscalité est mieux adaptée aux contraintes de la globalisation. Ces ressources fiscales vitales restent la meilleure expression de solidarité en vue d'endiguer les fléaux du chômage des jeunes et du déséquilibre régional. Pour l'heure, une large consultation doit être entamée dans les meilleurs délais, regroupant toutes les parties concernées Utica, Ugtt, ministère des Finances, commissaires aux comptes, experts comptables, fiscalistes, etc., pour essayer de rectifier le tir et d'optimiser le système fiscal tunisien en parant aux injustices et aux imperfections qu'il comporte. Pour un système fiscal réellement au service de l'économie et de la société.