Le Théâtre municipal n'avait pas besoin de faire semblant : un air de fête planait à l'entrée et le beau linge des invités épanchait sa compassion sur tous les malheurs du monde. Nous reconnaissons tout de suite Alexandre Naas, initiateur de l'événement, à l'accent russe plus vrai que nature. Il est occupé à faire ses devoirs d'hôte pour une délégation très importante, venue spécialement de Moscou accompagner les films et profiter du soleil levant d'un pays en pleine transition. Il s'agit du directeur général de «Mosfilm» M. Karen Chakhnazarov, le directeur général de «Karofilm» M. Aleksei Riazantsev, la directrice générale du Festival international du film de Moscou Mme Natalia Semina, le directeur général de «Karo production» Youri Oboukhov, le directeur de la Maison des jeunes de l'Union des cinéastes de Russie Yakunin Dmitry et le réalisateur Roustam Mossaf. Dommage que ces personnalités, qui font le bonheur des cinéphiles, la pluie et le beau temps du cinéma russe, passent ainsi inaperçus aux yeux de nos cinéastes, professionnels ou débutants et aux micros des médias. Nous nous demandons, d'ailleurs, à qui incombe la faute ? A l'Association tunisienne d'échange culturel, organisatrice de la manifestation, qui ne connaît peut-être pas encore assez bien les personnes ressources et les «rouages» ? Ou à «Voltaire», comme toujours, qui laisse souvent passer l'occasion d'asseoir les bonnes traditions et les relations interculturelles conséquentes ? Va-t-on, au moins, donner l'occasion à un plus grand public de découvrir ces films, de très grande qualité, réalisés avec très peu de moyens et qui peuvent constituer une leçon de cinéma? Nous savons que du 6 au 12 du mois prochain, les films de cette quatrième édition seront projetés à Tunis. Mais il serait souhaitable de les programmer, également, aux JCC (Journées cinématographiques de Carthage), ce festival très populaire, dans le cadre d'une rétrospective du cinéma russe, comme ce fut le cas, avec succès, pour d'autres cinémas du monde. Car, malgré sa politique de production en faveur d'un cinéma nouveau, la Russie ne parvient pas encore à voler la vedette aux Américains. Ce festival, qui a lieu à Sousse, fait partie d'une stratégie de promotion d'un art qui résonne encore avec ses classiques. Le Major Après les présentations des officiels (tel que l'ambassadeur de la fédération de Russie, M. Alexandre Cheïne, et le délégué régional de la culture) , des invités, et du jury composé d'artistes et d'experts en matière d'art cinématographique, on a enfin eu le plaisir de voir Le Major de Youri Bykov, lauréat de plusieurs prix internationaux, et dénicheur de la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes 2013. Le réalisateur présent à la cérémonie d'ouverture nous a pourtant prévenus : «Le film est douloureux ; mais vous allez peut-être vous identifier à tous les protagonistes». Il ne croyait pas si bien dire. L'auteur nous a tout de suite embarqués dans une situation complexe, où l'empathie cède parfois la place à la confusion des sentiments. Tout se passe en «un jour sans». Un flic conduit comme un fou, pour arriver à l'hôpital où sa femme est en train d'accoucher. Sur sa route, il écrase un enfant. Il demande l'aide de ses collègues, qui, par solidarité, feront tout pour le disculper. Ils font signer à la mère un papier où elle avoue qu'elle était ivre et qu'elle avait fait preuve de négligence en laissant son fils lui échapper en pleine autoroute. Mais il y aura bientôt les élections et le grand patron voudrait en finir avec tous les témoins. La machine infernale est déclenchée, le sang coule à flots. En le racontant comme ça, ça a tout l'air d'un film policier ou d'action. Mais ce film, hypertendu par un script rempli comme un œuf, est d'un autre genre. C'est un film d'auteur où il est question de l'humain. Ce dernier franchira vite le pas quand il s'agit de sauver sa peau. Le rôle de l'auteur était de montrer ces personnages le plus possible «comme nous». Celui qui a tué l'enfant est, en même temps, le bon et le méchant. Il était notre intercesseur vers le gouffre mortifère et complexe, incarné par ce corps de métier en abus de pouvoir. Il accomplit pour nous le parcours jusqu'à devenir le héros. Mais malgré lui, ce dernier finira par achever la maman de la victime, pour sauver sa propre famille. On ne sort pas indemne de ce film, car l'on se dit : «Malheureusement, ça n'arrive pas qu'aux autres».