Dans quelques jours sera clôturée la manifestation «Kairouan, capitale de la culture islamique» qui, on s'en souvient, avait été ouverte officiellement par le Président de la République le 8 mars dernier. Tout au long de cette année, les conférences ont succédé aux rencontres artistiques et scientifiques, ainsi qu'aux spectacles, pour rappeler aux jeunes et moins jeunes générations la place particulière qui fut et qui demeure celle de la ville de Kairouan dans le monde musulman et dans son histoire, mais aussi la vocation qui est aujourd'hui celle d'une «capitale de la culture islamique». Il s'agit là, à vrai dire, d'une responsabilité importante, à l'heure où, dans bien des endroits du globe, certains s'acharnent à faire peser sur la culture islamique et sa dimension foncièrement humaniste d'injustes et intolérables soupçons, relayés d'ailleurs par certaines personnes qui, de l'intérieur, s'obstinent par leurs actes à vouloir présenter cette culture sous un jour contraire à la dignité humaine. A vrai dire, la célébration de la ville de Kairouan comme haut lieu de la culture islamique rejoint une attitude constante qui, depuis le Changement, distingue la voix de la Tunisie dans le concert des nations : porter la mémoire d'un Islam qui est tourné vers la promotion de l'homme et des relations de paix entre les peuples, celui d'un épanouissement intellectuel et culturel de l'individu, celui aussi d'une coexistence harmonieuse entre les différentes confessions dans un esprit de respect mutuel. Et, de fait, l'histoire particulière de cette ville sainte offre pour cela d'amples témoignages sur le fait qu'un tel Islam est une réalité historique et que nous avons aussi tout lieu de porter avec fierté l'héritage d'une telle culture face à nous-mêmes et face à autrui. Que l'on se souvienne que, durant la période aghlabide et ziride, Kairouan était d'abord le grand carrefour de la civilisation musulmane d'Occident : cette ville rayonnait sur tout le Maghreb ainsi que sur l'Andalousie, qui en a d'ailleurs retenu l'esprit de tolérance ainsi que son goût prononcé pour les sciences et les arts. Car bien avant que se fassent connaître les grands noms de l'Espagne arabe, les Ibn Tofayl, Ibn Rochd, Maïmonide et Ibn Arabi, il y eut à Kairouan, et plus particulièrement dans ce qu'il est convenu d'appeler l'Ecole de Kairouan, toute une effervescence autour de l'activité de pensée et de connaissance, où l'audace de l'esprit n'était pas absente, pas plus que n'était absente la fraternité qui unissait les hommes de savoir par-delà la frontière de leurs croyances religieuses. Dans le domaine du droit, de la littérature, de la science hydraulique, mais aussi et surtout dans cette mère des sciences qu'est la médecine, Kairouan fut un véritable centre de recherches hardies et pertinentes, dont les résultats ont profité souvent au-delà même des limites du monde musulman. Rendre hommage à cette vocation de la culture islamique, dont Kairouan fut la fidèle servante en bien des heures de son passé, ce n'est pas faire uniquement œuvre d'historien ou d'archiviste. Et c'est là un autre point qui caractérise la position particulière de la Tunisie dans ce domaine : c'est aussi se tourner vers l'avenir, pour apporter par le savoir et l'esprit les réponses qui permettent à l'homme d'aujourd'hui de vivre plus pleinement son humanité… C'est, dans la mémoire de l'exemple de Kairouan et de son passé glorieux, reconduire pour nous-mêmes la même audace intellectuelle et culturelle qui fut autrefois, et dans son propre contexte, celle de cette grande capitale islamique. Telle est donc la vérité que la mémoire de Kairouan, dans sa double dimension— celle du souvenir et celle de l'action — apporte en guise de réponse à tous ceux que le doute travaille en ce qui concerne la grandeur de la culture islamique. Nul doute que les manifestations marquant la clôture de cet événement devraient confirmer ce message au monde qui est la fois celui de Kairouan et celui de la Tunisie d'aujourd'hui. Bien entendu, que cette clôture puisse coïncider avec les festivités du Mouled ne ferait qu'ajouter à la force du message, dans sa portée religieuse.