Djerba, synagogue El Ghriba de Kamel Tmarzizet et Jaques Perez Toutes communautés confondues «La survie de l'identité hébraïque de la communauté de Djerba, minoritaire au sein d'une majorité musulmane particulièrement accueillante, n'a pu triompher de siècles d'exil qu'au prix de son autoprotection et de la tolérance des musulmans», André Chouraqui, historien juif d'origine maghrébine. Il y a de ces livres qu'on vous offre, que vous gardez soigneusement dans votre bibliothèque, mais que vous oubliez de lire. Un de ces ouvrages pourrait être « Djerba, synagogue El Ghriba », écrit par le célèbre chercheur tunisien vivant en France, Kamel Tmarzizet, et illustré par le non moins connu, photographe humaniste, Jaques Perez. Ce dernier avait invité notre collègue Tahar Ayachi à commenter librement ses photos. C'est à l'occasion de la saison du pèlerinage qui sera clôturée demain, dimanche 18 mai 2014, et pour en savoir plus, suite à la polémique qui vient d'avoir lieu, que nous avons dépoussiéré la couverture de cette édition Carthacom (1993). Dans les pages qui suivent, l'auteur nous donne une idée sur la vie, les croyances, les traditions séculaires et la vieille culture de la communauté judaïque de « l'île des Lotophages(*) » : Djerba. Attaché à son île natale, Kamel Tmarzizet fait une belle description, avec «une vision que seul un poète peut léguer à notre imaginaire», écrit Dr Gabriel Kabla, médecin djerbo-parisien, qui avait signé la préface. Pour élaborer cet ouvrage qu'il considère comme incomplet, l'auteur a puisé dans les travaux entrepris par des chroniqueurs de différents pays à propos des insulaires juifs. Cela dit, il reconnaît que l'histoire ancienne des juifs djerbiens reste opaque. Bien qu'elle soit actuellement objet de recherches, la principale source demeure la tradition orale, sous forme de légendes transmises de génération en génération. «Mais cette tradition orale s'effrite malheureusement, avec les mémoires emportées par la mort», précise l'auteur dans son avant-propos. Et d'ajouter : «Aussi, notre propos est-il surtout de restituer le mystère qui enveloppe une communauté, unique en son genre en Tunisie, et d'éclairer certains des mécanismes intimes qui ont régi son existence». L'émigration Dans l'un des chapitres de l'ouvrage qui porte le titre suivant Emigration sans retour, l'auteur raconte que jusqu'à un passé récent, la communauté juive de Djerba était profondément attachée à l'île et ne voulait sous aucun prétexte la quitter. «De la même façon qu'Ulysse et ses compagnons, elle y demeurait comme si elle avait goûté, elle aussi, aux fruits délectables du lotos !» Puis, avec les nécessités économiques, tous les Djerbiens ont été gagnés par le phénomène de l'émigration. Au début, seuls les hommes entreprenants partaient pour une durée déterminée faire fortune à Tunis. Ensuite, on a assisté à un exode massif des jeunes gens. «Plus instruits et plus exigeants, ceux-ci s'en allaient à la recherche d'une situation plus confortable, en Europe particulièrement. Vers les années cinquante, touchés par l'appel de la « terre promise», avec la création en 1948 de l'Etat d'Israël, ils retournaient dans leur île natale pour l'adieu définitif». Parmi les juifs djerbiens, bon nombre se sont installés en France. Selon l'auteur, ces départs massifs ont entamé sérieusement le patrimoine culturel et religieux de la communauté juive restée dans l'île, dont le nombre s'est de ce fait considérablement réduit. Ceux qui ont préféré demeurer à Djerba continuent de vivre avec les autres communautés dans une symbiose totale. De cette coexistence a résulté une solidarité sans faille, tant et si bien que, lors de la dernière guerre mondiale, les Juifs de Djerba n'ont pas connu — comme leurs coreligionnaires d'autres pays — la déportation et le génocide. Car ils ont été accueillis et protégés par leurs concitoyens musulmans. Ainsi, ils ont été épargnés du malheur hitlérien et de la barbarie des crimes nazis. Plus loin dans le même chapitre, l'auteur cite le témoignage de celui qu'il appelle « le bon vieux Haouatou », et qui illustre cette estime réciproque entre les deux communautés. «Depuis les temps les plus reculés, dit Haouatou, le sanctuaire de la bien aimée, la Ghriba, bénissant de sa présence sainte toute la région, est vénéré aussi bien par les Juifs que par les Musulmans. Sa fête attire au printemps de chaque année des milliers de pèlerins des deux religions et les voit fraterniser dans une commune dévotion...» (*) L'auteur a dû utiliser ce terme pour parler d'un peuple légendaire mentionné dans l'Odyssée, ou du lotos ou lotus, un fruit tellement doux qu'il faisait oublier aux étrangers leur patrie.