De notre envoyée spéciale Samira DAMI Plus que deux films pour clore la compétition de la 67e édition de Cannes. Hier, c'était à un habitué de la Croisette de montrer son film en lice pour la Palme d'or qu'il a déjà obtenu avec «Le vent se lève» en 2006. Ken Loach, c'est lui, signe avec «Jimmy's Hall» sa 14e participation à la sélection officielle du festival de Cannes. L'action se déroule dans le comté du Leitrim en 1932 et se focalise sur le retour de Jimmy Gralton qui, suite à un exil de 10 ans aux Etats-Unis rentre en Irlande pour aider sa mère à s'occuper de la ferme familiale. Son pays qu'il retrouve une dizaine d'années après la guerre civile s'est doté d'un nouveau gouvernement. Tous les espoirs sont permis. Suite aux sollicitations des jeunes de son comté, il décide de rouvrir le «Hall» un foyer de jeunesse gratuit ouvert à tous et où on se retrouve pour danser, chanter, dessiner, étudier ou discuter. Le succès est immédiat, mais l'influence grandissante de Jimmy et ses idées progressistes ne sont pas du goût de l'Eglise et des propriétaires terriens, ses ennemis d'hier. Les tensions refont surface. Tel un 2e volet d'un dyptique consacré à l'Irlande et toujours dans la lignée de ses films à fibre sociale, cet opus du réalisateur britannique oppose les grands propriétaires terriens et les prêtres du village aux ouvriers qui s'ouvrent, au début du 20e siècle, sur le communisme et la lutte des classes. Et c'est l'espace de liberté qu'est le Hall, personnage à part entière qui représente la résistance et l'expansion des idées progressistes et révolutionnaires dans une société des plus oppressantes et conservatrices. Oppressé par l'Eglise omniprésente, défendant ses intérêts en exerçant son contrôle sur le quotidien et les esprits des villageois ainsi que l'imaginaire d'une Nation. Loach fustige, donc, une tranche de l'histoire de l'Irlande dominée par l'idéologie de l'Eglise catholique qui voulait maintenir la mainmise sur l'éducation et raconte une époque proche aux plans économique et financier de celle actuelle où les pauvres subissent la crise comme au temps du krach de 1929 et émigrent en quête de travail afin d'échapper au chômage et à la misère. Comme à l'accoutumée, Loach traite son sujet avec humour à l'instar de la scène où la mère de Jimmy enferme les policiers venus chercher son fils en faisant semblant d'oublier où elle a mis la clé de la porte d'entrée. Loin de tout discours, le réalisateur prône l'amour contre la haine comme dans la scène où Jimmy, dans une fausse confession, reproche au prêtre d'avoir dans son cœur plus de haine que d'amour. Le cinéaste prône aussi la justice sociale et la liberté et les séquences de leçon de musique, entre traditionnelle et jazz, et de danse racontent à elles seules sa passion pour la création et la liberté. Avec Jimmy's Hall, Loachréussit à peindre l'Irlande a une époque charnière ou l'Eglise commence à voir son pouvoir contestée et réussit à nous émouvoir grâce a une peinture sociale si bien interprétée par de grands comédiens pas très connus et qui appartiennent tous à la région où le film a été tourné, tels Barry Ward dans le rôle de Jimmy et Simone Kirby dans celui de Oonagh. Jimmy'Hall serait le dernier film à grand budget de Loach, c'est ce qu'il a annoncé lui-même, avec l'intention de se tourner probablement vers les documentaires et des opus plus modeste. Est-ce un adieu au cinéma de fiction pour se concentrer sur le réel, en fait, toujours présent dans ses films. N'est-il pas le cinéaste du cinéma social par excellence. Godard, l'incompris A 83 ans, Jean-Luc Godard, emblème de la Nouvelle Vague, est présent au 67e festival de Cannes à travers son dernier-né, «Adieu au Langage», mais lui ne s'est pas déplacé, il s'est contenté d'envoyer une lettre vidéo d'excuses à Gilles Jacob, président du festival, créant ainsi le buzz autour de cette présence-absence. A l'unique projection, journalistes et festivaliers ont afflué, formant des files énormes où ils ont dû attendre pendant une heure, mais seuls les premiers arrivés ont pu avoir accès à la salle Louis-Lumière. Fidèle a sa tradition, Godard présente, seule nouveauté, un film en 3D où il serine ses images au rythme d'une bande son où s'entremêlent des voix off inintelligibles, des citations et une musique cacophonique, un peu comme dans «Alphaville», film qu'il a réalisé en 1965. Il s'agit comme dans «Film Socialisme», son précèdent opus sélectionné en 2010 dans la section Un Certain Regard, d'une réflexion sur l'état du monde et sur le cinéma dans le plus pur style godardien qu'on aime ou pas, ou il s'agit de fragments de discours, de sons et même d'images livrés aux spectateurs tel un puzzle ou un patchwork auquel il faut donner du sens. Et dans cette histoire qui se focalise sur un homme, une femme et un chien. Or, dans les scènes d'excréments d'un homme imitant le penseur de Rodin, par exemple, les citations anecdotiques à la limite de la débilité, Godard nous dit que le monde ne va pas bien. Film testament sur l'état du monde et l'art, les couleurs façon Van Gogh, ses propres opus, «Pierrot le fou», «Le mépris» et autres qu'il cite le montrent. Adieu au langage est-il un adieu au cinéma du réalisateur. Espérons que non.