Par Boubaker BENKRAIEM(*) J'ai eu l'occasion, au cours de ma carrière, de servir mon pays au royaume du Maroc durant trois années inoubliables à plus d'un titre. J'ai pu ainsi, dans le cadre de mes activités professionnelles, visiter le Maroc en long et en large et les régions de Fez, Tanger, Agadir, Tafraout ou Tiznit ne m'étaient pas inconnues et je me suis même rendu au Sahara, à Smara, Layoune et Eddakhla. Mais la ville qui m'a le plus ensorcelé et que j'ai visitée le plus a été, sans conteste, la perle des vallées de Lourika et du Dades dont je n'ai raté aucun de ses festivals annuels des arts populaires des années 1981,82 et 83 ; cette ville est, bien sûr, Marrakech l'impériale. D'autre part, c'est dans cette capitale des plaines du sud marocain que j'ai eu le grand honneur et l'immense plaisir de rencontrer, pour la première fois et dans un cadre très restreint, l'un des plus grands rois du Maroc, S.M.le roi Hassan II, que Dieu ait son âme, qui m'a impressionné par sa très forte personnalité, par son charisme et par son immense culture. Marrakech, la majesté de son cadre, la grandeur de ses monuments fidèles à la tradition almohade, son admirable couleur, un gris-rose qui, suivant les heures du jour, s'exalte dans des rouges somptueux ou s'apaise dans des violets d'une exquise délicatesse, lui donnent d'exercer, sur ceux qui passent comme sur ceux qui y vivent, un véritable enchantement. Marrakech, grande ville de plus d'un million d'habitants, adossée au pied du grand Atlas et s'appuyant sur les sommets de Loukeimeden dont les neiges éternelles fournissent aux nombreuses rivières des vallées de Lourika et du Dades cette eau pure et limpide qui alimente la nappe phréatique de la plaine et nourrit cette terre riche et généreuse qui fournit aux habitants de toute la région et aux centaines de milliers de touristes, les légumes et les fruits dont ils ont besoin et lui permet d'avoir toujours cette verdure luxuriante, reposante et régénératrice et cette flore aux couleurs éclatantes qui fait l'admiration de tous les visiteurs et qui donne à la ville cet aspect féérique, enchanteur et majestueux. Le destin a voulu, trente ans plus tard, que je m'y rende, en famille, pour y passer une semaine, à la mi-avril 2014. Ce que j'ai vécu, ce que j'ai vu et le changement intervenu dans cette ville impériale de Marrakech ont été, tout simplement, remarquables et fantastiques. Pourquoi ? - D'abord, mon premier constat est que cette ville est devenue une grande métropole d'une propreté et d'une netteté inégalables à tel point que je n'ai pu observer, une semaine durant, un seul sac ou une seule bouteille en plastique, un pot de yaourt ou un paquet de cigarettes vide joncher le sol non seulement au centre-ville mais encore dans les boulevards périphériques et cela dénote, pour le moins qu'on puisse dire, beaucoup de pédagogie et l'instauration d'une ferme discipline. Même la place de Jamâa El Fnâa, mondialement connu pour son aspect folklorique, jadis dégoulinante, est devenue très * clean* et un lieu très accueillant et très agréable à visiter. - Ensuite, j'ai constaté une ville laborieuse, du matin au soir, et même très tard le soir, et j'ai été agréablement surpris de ne pas voir les cafés qui sont d'ailleurs fort peu nombreux, bondés de jeunes et de moins jeunes attablés autour de chichas ou sirotant leur café à longueur de journée. -Enfin, j'ai été très agréablement surpris par la mise en valeur des sites touristiques de la ville qui attirent et les touristes de haut niveau et les Marocains. Et que ce soit aux Palais El Bahia et El Badii, au musée de Marrakech, au jardin Marjorelle, à la Palmeraie, à la Menara, à El Agdal ou aux tombeaux Saadins, leur fréquentation par une foule nombreuse dénote l'intérêt porté à ces sites qui étaient très bien entretenus, gardés et surveillés. Bravo Monsieur le Gouverneur de Marrakech et je vous félicite pour l'excellent aspect de votre capitale de province car vous avez réussi là où beaucoup de vos homologues maghrébins, malgré les efforts fournis, sont loin de parvenir au même résultat. Pour l'atteindre, il vous a certainement fallu beaucoup de détermination et l'appui et le soutien de tout le monde et en particulier ceux des associations de la société civile. Pour ma part et compte tenu de mon expérience dans ce domaine, je pense que pareil résultat ne peut être obtenu sans : une volonté politique affirmée. une politique participative affinée. actions convaincantes élaborées. règles de procédures et de comportement assurées. une autodiscipline ferme bien assimilée par tous, et bien sûr, sans l'application stricte de la loi à l'encontre des récalcitrants. Je voudrais, par ces quelques lignes, présenter mes compliments à mes frères et amis marocains ainsi qu'à mes camarades de Promo*la Promotion Mohamed V*. Je tiens à leur faire savoir que le progrès du Maroc est celui de tous les Maghrébins et que le remarquable développement de la ville de Marrakech, l'étincelante, est la preuve que notre peuple maghrébin dispose de grandes compétences dans tous les domaines capables d'améliorer la qualité de la vie de leurs concitoyens. Aussi, c'est grâce à leur patriotisme ainsi qu'à leur travail, à leur sérieux et à leur abnégation que Marrakech, la majestueuse, s'est imposée comme capitale du cinéma international ou encore, tout dernièrement, comme capitale du football mondial. En revenant de ce beau pays qu'est le Maroc, et en rentrant dans mon pays, la Tunisie, et en traversant Tunis, notre capitale, censée être la plus propre et la plus accueillante pour un pays qui fait du tourisme l'une de ses plus importantes sources de devises, j'étais malheureux de revivre et de revoir le spectacle désolant et affligeant qui perdure depuis des mois et qui ne fait honneur ni à notre culture, ni à notre religion, ni à notre passé et encore moins à notre présent. J'étais triste de voir mon pays dans cet état d'insalubrité et de malpropreté, nous qui étions, par le passé récent, cités en exemple dans tous les domaines et qui avions mérité l'admiration de nos visiteurs venus des quatre coins du monde. J'étais triste de constater que mon pays, jadis exemple et modèle, se résigne à admettre et accepter cette fatalité voire cette malédiction qu'elle ne mérite nullement. Est-ce que nous ne sommes plus capables de commander nos hommes, ce personnel des voiries chargé de cette mission, ceux-là mêmes qui ont vu, après la révolution, une remarquable amélioration de leur situation matérielle et qui prennent maintenant le pays en otage sans que cela ne dérange personne? Où allons-nous encore ? Que font les syndicats et pourquoi ne jouent-ils pas leur rôle ? Sommes-nous dans une année électorale syndicale au cours de laquelle la base impose ses points de vue au directoire ? Comment notre pays peut-il encore supporter ces saletés génératrices de tout genre de fléau sanitaire alors que la saison touristique est pour demain ? Comment se fait-il que les partis politiques, qu'ils soient de gauche, du centre, de droite ou islamiste et les élus du peuple, obnubilés par les prochaines élections et ne pensant qu'à cela, ne se soient pas mobilisés pour que cette question soit définitivement réglée ? C'est une honte pour tous les Tunisiens ; c'est une honte pour la révolution, c'est une honte pour les gouvernants ; c'est une honte pour nous tous et encore davantage pour les responsables de la chose publique, eux qui ont accepté de servir...ce pays qui mérite mieux. Nous avons, malheureusement, la mémoire courte car en 1991 ou 92, le gouverneur du Kef, devant les doléances du maire de la ville relatives à la non-application, par certains restaurateurs, tenanciers de bars, cafés et gargotes, des règles d'hygiène des locaux, a pris des mesures révolutionnaires en ordonnant la fermeture d'un hôtel, de cinq restaurants, de plus de cinq gargotes et d'une dizaine de bars-cafés. Mais ce qui est remarquable et judicieux, c'est que la décision de fermeture stipulait dans son article 2 que l'établissement sera ouvert de nouveau, 3 heures seulement après le constat effectué par le service d'hygiène relatif à sa salubrité. Cette mesure ayant servi de leçon à tout le monde, la ville du Kef était devenue, en seulement quinze jours, la ville la plus propre du pays. Nous avons besoin, aujourd'hui plus qu'hier, de la même détermination et du même courage pour que tout rentre dans l'ordre car le Tunisien est très intelligent et il sait quand il ne doit pas dépasser certaines limites. Un clin d'œil à Madame la ministre du Tourisme que j'encourage à maintenir cette pression relative à la campagne de propreté qui a démarré, il y a deux semaines et qui doit être une campagne continue et non limitée à un mois seulement. D'autre part, faut-il rappeler que dans chacune de nos grandes villes, il y a des sites qui ont une grande valeur soit historique, soit architecturale qui peuvent être mis en valeur et intéresser les citoyens et les touristes. Cela n'a malheureusement pas été fait par le passé. Peut-on ignorer une partie de notre histoire ? Peut –on oublier que les Husseinites ont régné sur notre pays durant plus de deux siècles ? N'ont-ils rien laissé comme palais, comme carrosses, comme souvenirs pouvant être exploités? Où sont les bijoux de la famille royale dont la fameuse bague du Bey ? Si les deux précédents régimes n'ont rien fait à ce sujet, devrions-nous continuer à commettre la même erreur historique pour que les générations futures nous en veuillent ? Aussi, le Dar Hussein, cette somptueuse villa d'une grande valeur architecturale du côté de Bab Menara, Dar El Bey à Carthage, actuellement *Dar El Hikma*, comme *Ennejma Ezzahra *de Sidi Bou Said et tant d'autres lieux sont des trésors qu'il faut mettre en valeur, restaurer, leur faire de la publicité et ouvrir au public. Nous avons tendance à oublier que notre pays a vu défiler, tout au long de ses trois mille ans d'histoire, tant de civilisations que beaucoup de pays nous jalousent. Celles-ci ont laissé des traces qui doivent être recensées, répertoriées, mises en valeur et exploitées. La demeure du grand Abderrahman ibn Khaldoun, savant mondialement connu et respecté pour son œuvre, est située dans la médina de Tunis. Qu'attend-on pour en faire un musée digne de ce *Allama*dont nous sommes très fiers ? Nos historiens sont tout indiqués, en faisant quelques recherches, à enrichir notre patrimoine non seulement dans les villes touristiques mais encore,même dans la Tunisie profonde. Tout cela ne fera, de la sorte, que valoriser ces sites d'une part, et d'autre part, créer un grand nombre d'emplois. De retour en Tunisie, mes vœux les plus chers et mes souhaits les plus ardents vont à mon beau pays, pour qu'il retrouve, au plus tôt, les grandes valeurs qui l'ont toujours caractérisé (stabilité, paix sociale, sécurité, sérénité, labeur et générosité), pour que le peuple tunisien qui a besoin d'une très bonne reprise en main se remette sérieusement au travail et quitte cette période transitoire qui n'a que trop duré. Que Dieu protège notre pays. *Ancien attaché militaire à l'ambassade de Tunisie à Rabat,ancien gouverneur de Sidi Bouzid et du Kef