Par Khaled TEBOURBI Encore «secoués» par la disparition subite de Hechmi Ghachem. Les habitués de la piétonne de l'espace Bouabana, eux, n'en reviendront pas de sitôt. Ils avaient assisté à une première alerte et «veillé au grain» pour protéger le retour du convalescent. Et il en fut ainsi. La silhouette de Hechmi se refit ponctuelle, comme aux plus belles heures de la révolution. Lorsque, d'une seule voix, «tanguant» au plaisir de la compagnie, nous nous promettions de défendre la douce et chère Tunisie contre les obscurantistes devenus «maîtres de céans». Hechmi Ghachem avait orchestré une revue à l'époque. Autant que faire se pouvait. Mais on y mettait tous la main. Qui par sa signature, qui sous pseudo. On n'en ratait pas une en tout cas et l'on foisonnait d'idées. La publication fit évidemment long feu, comme beaucoup d'autres, pour les raisons que tout le monde sait. Malgré tout, personne n'en prit vraiment ombrage. Pas même Hechmi, sur lequel retombait le plus gros des «pépins». A la vérité, en y pensant bien aujourd'hui, on avait à peu près tout dit de ce que l'on avait à dire. On avait «agité» tout ce dont le pays avait besoin. C'était la devise de Hechmi. On avait dénoncé les mensonges, pourfendu les hypocrisies. On avait tourné en dérision les faux leaders, les militants de la dernière heure, les prédicateurs et les charlatans. On avait surtout, au beau milieu de la vogue salafiste, ramené aux devants de la scène, les Tunisiennes libres et les voix de la modernité. «Mission accomplie», sussurait-il tantôt. Ce n'était ni excuse, ni pour se consoler. C'était lui. Tel qu'il fut sa vie durant. Le rebelle de toujours. Le rêveur impénitent. L'artiste, tour à tour, bohème ou citoyen. Le touche à tout génial, peintre, homme de théâtre, critique d'art, journaliste, écrivain, poète, auteur de chansons. Etre entier, «rongé» de vérité. Humain, trop souvent. Il finira par le payer de sa santé. Et nous finirons au contact d'une telle chaleur humaine par relâcher notre vigilance. On doute là, qui sait? Peut-être de trop nous réjouir de son retour, n'avions-nous pas suffisamment fait attention à lui. Hechmi Ghachem a beaucoup écrit en plus de trente ans de carrière. Des pièces, des dramatiques, des recueils, des centaines d'articles, quelques romans aussi dont le tout dernier, «Discours d'un jeune âne amoureux», présenté ce vendredi, au lendemain de sa mort, lors d'une séance hommage du Salon d'automne international de Tunis. Ce roman a été bouclé à la hâte, a observé notre collègue Chokri Ben Nessir. Hechmi avait un pressentiment. Quand on aura lu le livre, on comprendra sûrement pourquoi. J'ai, pour ma part, gardé, en particulier, une de ses chroniques du «Courrier de Tunisie» en date de novembre 2011. Il l'avait titrée «Lettre d'amour au nouveau maître», à l'adresse du président provisoire «toujours en fonction». Cette chronique est sans aucun doute excessive, impulsive, mais elle résume tout Hechmi Ghachem à mon avis : son caractère, sa personnalité, ses coups de gueule et, dans le même temps, sa profonde inclination poétique. En voici un extrait : «Ta vie ne ressemble en rien à la mienne, la tienne est parfaite. La mienne est un volcan d'anarchie... Je n'aime pas ton paradis parce que tu es incapable d'aimer. Tu n'aimes pas la musique. Tu n'aimes pas les roses. Tu n'aimes pas la peinture. Tu n'aimes pas la littérature. Tu n'aimes pas le cinéma. Tu n'aimes pas la folie... Tu n'aimes pas ceux qui ne t'aiment pas. Comment voudrais-tu que l'on puisse t'aimer...» Adieu l'ami !