La chaîne de télévision nationale a présenté vendredi soir, en exclusivité, un document vidéo : l'interview d'un présumé terroriste, Wael Boussaidi. Cette séquence d'une quinzaine de minutes mérite commentaire et suscite des interrogations Contrairement à ce que l'on croit souvent, le jihadisme n'est pas homogène et les jihadistes ne sont pas semblables et interchangeables. Le Wael qu'on nous a présenté vendredi ne correspond pas au stéréotype classique du jihadiste, grand et opulent avec la barbe longue, les yeux rougis de haine, l'index pointé vers le ciel, vociférant contre la terre entière. Mais il faut savoir que des jihadistes, il y en a de différentes catégories. D'abord, il faut rappeler que le jihadisme est une chaîne. Une chaîne qui part de l'individu et qui aboutit à l'action terroriste. La chaîne commence par la radicalisation, et la radicalisation commence dans le groupe familial, amical, scolaire, professionnel. C'est un élément qui est maintenant connu, car il a été étudié dans de nombreux pays. Tuer son semblable de sang-froid, d'une manière cruelle et sanguinaire, n'est ni dans la nature de l'homme, ni dans celle de l'animal. Il y a donc une laborieuse préparation et le passage par cette longue chaîne pour aboutir au dernier maillon. Or, dans cette chaîne, il n'y a pas que des jihadistes purs et durs, déterminés et endurcis, capables de prendre le maquis. La palette est riche en profils. D'où Wael. Le processus de radicalisation La radicalisation commence donc dans le groupe. Le jihadiste moyen, au moment où il rejoint le jihad, est âgé de 26 ans. Wael en déclare 28. Après la sensibilisation progressive et l'intégration à un groupe, les personnes les plus immatures, les plus impressionnables, sont approchées par un recruteur. Wael fait partie visiblement des personnes naïves et impressionnables. Il est approché par un recruteur qui semble, lui, décidé et savoir ce qu'il fait. Il lui intime cet ordre : « il faut escalader la montagne », comprenez, rejoindre le maquis. Telle a été l'injonction faite à Wael. Celui-ci soumis à une forte pression, après quelques résistances et reports finit par craquer et obtempère. En plus du recruteur, on comprend qu'il y a ce que Wael appelle les « Ittissaliyoune » : les agents de liaison. Ceux-là restent dans la plaine, de préférence dans les villes pour s'acquitter de leur tâche. Dans ces maquis bien organisés, il y a également une vraie chaîne logistique d'approvisionnement en denrées alimentaires notamment. Dans le maquis de Jendouba, Wael n'était même pas chargé de logistique, mais de faire le ménage. Il aurait pu devenir, à terme, un « vrai » jihadiste. Mais il ne l'est pas, tout au plus a-t-il été, si l'on se base sur ses propres déclarations, un homme à tout faire. Et pour cause, craintif, trop douillet pour supporter la vie en montagne. Le vocabulaire limité, l'intelligence au ras-des-pâquerettes, l'absence de culture religieuse la plus élémentaire, tout cela dessine le profil d'un jihadiste de carnaval qui en passant aux aveux, ne manque pas d'administrer des conseils à ses compatriotes. « Je le dis aux Tunisiens, ne rejoignez pas la montagne, la vie y est trop dure, on doit dormir par terre ! » Mais contrairement à ce qui a été dit çà et la, à ceux qui ont vu à travers la vidéo une mise en scène, pire, un complot bien fomenté, Wael correspond parfaitement au profil type que ciblent les recruteurs à la base. Certes, il n'a pas, peut-être ne l'aura-t-il jamais, compte tenu de son tempérament, le profil du jihadiste national ou transnational aguerri. Mais il correspond au profil type du poseur de bombes facilement manipulable, du Kamikaze qu'on sacrifie en premier, de la chair à canon. Second point à soulever des confessions de l'apprenti jihadiste concerne la jonction entre les maquis tunisiens et algériens. Les neuf chefs du groupe étaient tous Algériens apprend-on. Les 7 Tunisiens (en comptant Wael et son recruteur) étaient, eux, chargés des tâches les plus ingrates. Ils n'étaient pas dans le secret des dieux. Les questions que l'on se pose ? Au-delà de ces constats, il y a des questions que l'on se pose nécessairement : qui a décidé qu'un présumé terroriste serait interrogé par la chaîne nationale de télévision? Qui a choisi Wael, lui, parmi tant d'autres arrêtés? Et, pourquoi avoir choisi un second couteau repenti, impressionnable, doux comme un agneau ? Pourquoi n'a-t-on pas choisi un jihadiste aguerri ? Voulait-on par ce choix légitimer l'appel à la reddition et au pardon lancé par Marzouki ? Et présenter les terroristes tous comme des victimes prêtes au repentir pour peu qu'on les aide ? Il faut savoir que pendant ce temps, quatre soldats sont morts, ils ont sauté sur une mine. Il faut savoir que cette mort aurait pu être évitée si on avait équipé l'armée tunisienne de véhicules Mrap anti-mines. Or, d'après les quelques informations recueillies, les seuls véhicules de ce genre ont été commandés en petit nombre à la Turquie et n'ont toujours pas été livrés. Pourquoi ? Des vies humaines auraient pu être sauvées si l'armée était correctement équipée par lesdits véhicules. Quant à l'ANC, on continue à y palabrer à l'infini sur les droits de l'Homme, à chercher une définition adéquate au terrorisme, et, au final, à empêcher la finalisation de la loi antiterroriste.