Par Bady BEN NACEUR J'emprunte ce titre à celui d'un fascicule, écrit et distribué, sous le manteau, par René Dumont, aux jeunes Tunisiens que nous étions en janvier 1978, les années noires... René Dumont (1904-2001) est ce célèbre ingénieur-agronome qui avait fait de sa vie un combat pour le développement rural des pays pauvres, défendant les cultures agricoles du continent africain contre les méfaits de la sécheresse, de l'érosion et de l'industrialisation sauvage et à grande échelle, ainsi que les mauvaises orientations prises par certains de nos gouvernants cupides et avides de pouvoir et d'argent facile. Il est l'auteur de soixante-dix huit ouvrages consacrés à l'écologie et qui prouvent son engagement infaillible envers notre continent. On lui doit, entre autres, «L'Afrique noire est mal partie» (1962) et «L'utopie ou la mort» (1973). René Dumont possédait une vaste culture et avait une perception critique des réalités des pays africains et dont, notamment, la Tunisie, pour le peu d'égard que l'on avait, inégalement, pour ses régions. On s'aperçoit aujourd'hui — depuis l'enclenchement de la révolution du 14 janvier — combien il avait raison de ce point de vue. «Sport, culture et répression» est aussi un autre regard que cet homme, pétri d'humanisme, portait sur le sport (le football, notamment) et la culture, deux domaines de la vie active et des loisirs de la jeunesse, mis constamment sous pression quand il ne s'agissait ni plus ni moins de répression. Concernant le football, justement, il s'était mis à fréquenter le stade d'El Menzah, comme tous les fans, le dimanche. Sans pourtant avoir la fibre d'Albert Camus pour ce sport «roi». Il avait cherché plutôt à démontrer comment la canalisation des énergies populaires, chaque semaine, à travers les principales artères de Tunis et finalement, dans les arènes (c'est gladiateur!) du stade olympique, sous l'œil vigilant de la flicaille et des matraques, était devenu un rituel sordide pour «dépolitiser» les citoyens. Energies renouvelées et gaspillées en palabres inutiles durant toute la semaine suivante, jusqu'au prochain match. Idem, dans le domaine culturel, à travers les festivals d'été naissants à l'époque, et que René Dumont comparait à la fable «La cigale et la fourmi». Tout cela est rapporté, dit, commenté, analysé dans ce petit fascicule si justement intitulé «Sport, culture et répression». Un petit bréviaire plein d'enseignements et indispensable pour ne pas s'égarer en chemin! Le chemin de la vie. Aujourd'hui, à une quarantaine d'années de distance, les choses ont-elles vraiment changé? On répondra à la fois, par «oui» et par «non». Oui, car le développement sportif et culturel a fait évoluer bien des choses. Le football, notamment, est devenu un sport à l'échelle planétaire qui a donné naissance à des stars, des champions adulés dans tous les continents. La culture et les arts, ces biens immatériels qui possèdent leurs trompettes de la renommée internationale entre découvertes, échanges et mixités. Ce qui faisait dire à André Gide un jour, dans les confins de Nefta, «L'avenir est aux bâtards», vocable non péjoratif que ce dernier puisqu'il sous-entendait déjà cette notion de mélange ou de mixité. Non, car ces deux domaines, considérés comme des éléments essentiels pour les jeunesses du monde désargentées sont devenus des machines à sous (qui profitent à qui?) considérables, au point de bafouer même les Etats qui se considèrent encore «politiquement corrects». En plus clair, si le titre de ce petit bréviaire pouvait être érigé en slogan international «sport, culture et répression», on s'apercevrait, du moins ces temps-ci, que pendant que tous les yeux étaient fixés sur le Brésil et que nous festoyions à travers nos festivals, théâtres et autres musiques du monde, Israël s'était mis à tuer la population de Gaza, sans compter... la fiesta d'un côté, les crimes contre l'humanité de l'autre. «Drôle d'époque!», aurait encore dit René Dumont, s'il avait été là.