Par Bady BEN NACEUR Autrefois, nous aimions aller vadrouiller du côté du Djebel Chaâmbi. Nous y passions toute la matinée et une partie de l'après-midi, afin d'être de retour à Kasserine, vers le soir tombé. Je me souviens encore des joies du camping entre amis, du déjeuner sur l'herbe improvisé, les victuailles ramenées de la ville et les plantes sauvages —blettes, cressons, pissenlits— ramassées sur le lieu, en guise de salades ainsi que des baies pour le dessert. Notre guide, garde-forestier, qui habitait dans les parages, prenait alors le plaisir de nous ramener du pain chaud, la fougasse, qui nous donnait l'eau à la bouche, mais pour laquelle il fallait patienter, car nous devions d'abord marcher, nous dégourdir les jambes. Nous aimions humer à pleins poumons l'air de cette montagne aux senteurs mêlées de thym, romarin, pin ou eucalyptus. Le chant des oiseaux, celui de la fauvette intenable, de l'alouette huppée, du rossignol à l'accent solitaire, dans le bois mystérieux, de la caille et de la perdrix, voltigeant vers le champ de blé... Et puis, soudain, un lapin de garenne, gros comme chat, bondissant de son terrier et le sanglier grommelant au loin, dans la futée. Et nous, la peur au ventre, rebroussant chemin vers notre camp de fortune. Et puis, le calme, la sérénité retrouvée, après tant de palpitations dans cette nature sauvage où tous les sons, parfums, couleurs se confondent. Nous devenions alors bucoliques, chasseurs d'images avec le shlick-shlack de notre appareil photo qui effarouchait les volatiles ; chasseurs de mélodies grâce aux arpèges de la guitare emportée avec nous en bandoulière. Et la voix fluette d'un jeune berger, au loin, qui résonnait dans toute la montagne. Qu'il est loin ce temps-là, où l'on partageait des choses simples de la vie ! Nous allions, nous allongions le pas, sans savoir où aller vraiment, ni quel était notre but. Mais nous étions libres et heureux comme toute cette faune sauvage qui nous donnait l'exemple du vivre-ensemble, heureux. Et aujourd'hui, avec tous les drames que vit le Mont Chaâmbi, les tueries sanglantes de nos jeunes soldats, les renégats de toutes espèces se sont installés sur ses pentes, dans sa forêt profonde, faisant taire cette faune miraculeuse, ravageant cette flore inespérée : comment ne pas avoir de chagrin, de nostalgie, en pensant à ces instants heureux volés au temps inexorable! Les trames du silence se sont-elles installées pour toujours dans cette montagne pleine de majesté, à l'instar de l'Ichkeul et du Boukornine? Quand on pense aussi, à ce gouvernorat tout entier, Kasserine, sa montagne bien sûr mais aussi d'autres atouts majeurs qui, bien exploités, effaceraient à jamais tant de misères: l'archéologie, le tourisme et la culture, Sbeïtla, le cilium, les randonnées champêtres à travers cette haute steppe, la santé, l'air pur et sec; les artisans des villages environnants, sans oublier tous les projets liés au développement régional, qui ont tardé à venir! Pourtant, que la montagne du Chaâmbi est belle, et comment peut-on encore se l'imaginer de nouveau? (*) titre d'une chanson célèbre de Jean Ferrat