Par M'hamed JAIBI A la veille d'élections historiques devant marquer l'avènement d'une nouvelle République authentiquement démocratique et pluraliste, les Tunisiens se demandent s'ils vont pouvoir préserver leur mode de vie libéral conciliant, ouvert sur le monde, que l'Etat indépendant s'est appliqué à consolider et à moderniser. Car il est nécessaire de bien comprendre que, désormais, ce sera à travers le verdict des urnes que sera tracée la voie à suivre durant tout un mandat de cinq années pleines. Un «détail» que semblent oublier tous ceux qui «hésitent» à voter ou qui répugnent à «choisir entre la peste et le choléra». Soit entre les multiples chapelles politiques qu'a enfantées notre Révolution de la liberté et de la dignité partagées, en définitive, entre la modernité et le retour aux sources passéistes. Cette fois-ci, personne ne va voter pour eux, ni Bourguiba ni Ben Ali. Et il leur faudra bien faire le bilan de leur forte option en faveur du «changement radical», opéré le 23 octobre 2011, qui a ouvert la voie au pouvoir controversé de la Troïka. Certes, le gouvernement consensuel en place a su matérialiser le retour aux traditions républicaines, marquant une trêve au niveau des tiraillements idéologiques et des luttes féroces opposant les défenseurs de l'Etat civil aux tenants des thèses islamistes. Mais les protagonistes ne désarment qu'en apparence et le rendez-vous électoral nous attend au tournant. La Tunisie se trouve aujourd'hui à un carrefour stratégique entre deux orientations antagoniques que cache mal le débat apaisé actuel que relatent les médias. C'est vrai qu'Ennahdha a fait un pas en arrière et reconnaît certaines erreurs flagrantes, mais le projet de société reste un grand point d'interrogation, occulté qu'il est par une nette et soudaine démarcation vis-à-vis du terrorisme et du takfirisme. Et les récentes prises de position des Nahdhaoui à propos des mosquées illégales fermées par le gouvernement, rejointes par le courant Al-Mahaba et le parti Al-Jomhouri, illustrent bien les limites dans lesquelles se cantonnent les remises en question au sein de la nébuleuse islamiste. C'est donc aux urnes qu'il reviendra de faire le choix historique entre une reconfirmation du modèle et du mode de vie tunisiens et l'option de déstabilisation de l'édifice institutionnel moderniste, projet enveloppé dont se réclament, peu ou prou, les islamistes des divers bords. Le projet de société est ainsi bel et bien dans la balance, a contrario de la sérénité affichée par le gouvernement Jomâa et de sa volonté manifeste d'entériner le modèle tunisien. D'où l'impératif de voir les Tunisiens prendre la démocratie à bras le corps et aller voter massivement. Les modèles qui leur sont proposés à travers le monde arabe sont parlants. C'est à l'épreuve des urnes qu'ils seront départagés.