Le paysage politique national connaît depuis la chute de Ben Ali des remodelages successifs et radicaux comme seules les révolutions sont capables d'en produire. Après avoir été durant plus de cinquante ans un parti-Etat qui affichait sans vergogne à chaque élection des scores dignes des républiques bananières face à des formations d'opposition réduites à la clandestinité ou à la contestation, le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD, héritier du Parti socialiste destourien de Bourguiba) a été transformé en un champ de ruines politique quelques semaines seulement après la chute de Ben Ali. Un parti rompu à la clandestinité et durement réprimé durant plus de deux décennies a été par la suite propulsé par la grâce de la révolution au devant de la scène. Il s'agit du mouvement islamiste Ennahdha que l'on croyait complètement rabougri. La renaissance de ce parti ne s'explique pas uniquement par le capital sympathie dont bénéficiait Ennahdha en raison du lourd tribut qu'elle payé lors de son opposition frontale à l'ancien régime: 30.000 militants embastillés et plusieurs milliers d'exilés. En plus de ce passé militant qui lui a permis d'enfiler les atours virginaux des réprouvés, le parti de Rached Ghannouchi a tiré profit d'une bipolarisation qu'il a bien entretenu entre islamistes et modernistes. Le vote islamiste a, de ce fait , tout du réflexe identitaire. En plébiscitant le parti islamiste, une majorité de Tunisiens a surtout voulu tourner la page d'une époque où l'Occident tenait lieu de référence et tenter un autre modèle, jamais expérimenté depuis l'indépendance. C'est aussi ce qui explique, d'ailleurs, les bons scores du Congrès pour la République (CPR) et du Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL / ou Ettakatol), les seules deux formations de gauche qui ne sont pas tombées dans des campagnes anti-islamiques avant d'opter pour une alliance avec Ennahdha. Nouvelle ligne de clivage Cette bipolarisation islamistes/modernistes qui a continué à marquer la vie politique plusieurs mois après les élections est en train de céder la place à une nouvelle dichotomie : islamistes contre destouriens. Le bilan maigre du gouvernement d'Ennahdha et de ses alliés qui semblent avoir préféré l'appartenance idéologie à l'expertise en plaçant au gouvernement des militants ayant connu les affres de la prison au lieu de privilégier des technocrates compétents a favorisé le retour des destouriens anciens ( les militants du PSD de Bourguiba) et nouveaux (les ex-cadres du RCD qui se sont recyclés dans d'autres partis) au devant de la scène. Tout a commencé par un appel lancé fin janvier par Béji Caïd Essebsi, ancien Premier ministre , à l'ensemble des forces politiques pour un regroupenet autour d'une alternative à l'actuelle troïka au pouvoir. Disciple de Habib Bourguiba, Caïd Essebsi a évoqué une « régression » , tout en pointant « l'apparition de formes extrémistes violentes menaçant les libertés publiques et privées », en allusion à l'activisme salafiste violent qui se déroulait sous le regard d'Ennahdha. La preuve irréfutable de ce retour tonitruant des destouriens est le rassemblement récent de 50 partis politiques et 525 associations à Monastir, à l'occasion d'un meeting organisé par l'Association de la pensée bourguibienne. Même Ahmed Néjib Chebbi et Ahmed Brahim, respectivement leaders du Parti Démocrate Progressiste et du mouvement Ettajdid, se sont alliés avec leurs ennemis d'hier. Autant dire que la bipolarisation entre islamistes et destouriens semble déjà une réalité. Le CPR ou Ettakatol qui croulent sous le poids des luttes intestines ou encore le front du 14 janvier qui réunit des partis d'extrême gauche n'ayant pas un vrai ancrage populaire, dont le Parti Ouvrier Communiste de Tunisie (PCOT) semblent mal placés pour représenter une troisième voie crédible. «Choisir entre la peste et le choléra » ? La nouvelle bipolarisation qui marque le paysage politique inquiète, d'ores et déjà de nombreux activistes politiques. «On me somme de choisir. Dis-nous, lesquels préfère-tu, les destouriens ou les islamistes ? Parfois, souvent, on me souffle qu'il faut choisir les destouriens, qu'on sera protégé de la théocratie, qu'on préservera nos acquis et, argument suprême, ceux des femmes ! Curieusement le choix est limité à ces deux-là. Comme si les autres, tous les autres, ne pouvaient être qu'avec celui-ci ou celui-là, comme s'ils ne présentaient aucune alternative, comme s'ils ne comptaient pas, en somme », s'inquiète le militant de gauche et écrivain Gilbert Naccache, estimant que « le fait de choisir entre les destouriens et les islamistes revient choisir entre la peste et le choléra ». Même s'il affirme qu'il choisira de soutenir les défenseurs de la révolution et non pas les contre-révolutionnaires sans les nommer, l'auteur du roman carcéral « Cristal » et l'ex-militant de l'organisation de gauche « Perspectives» semble désabusé et mélancolique: « Quelle terrible destin que de ne pouvoir choisir entre le mauvais et le pire («el mchoum ou el achouem menou ») ! Pourquoi avons-nous forgé nous-mêmes notre malheur en participant à des élections aux résultats prévisibles ? Et maintenant, que faut-il faire ? », s'interroge-t-il dans une déclaration publiée le 31 mars. Walid KHEFIFI tarik ben hamouda daassi Patriote tarik ben hamouda klimawahda mahmoudbedoui tarik ben hamouda daassi aghioul mahmoudbedoui