Il y a cinquante ans, lorsque Ali Ben Ayed préparait l'ouverture du premier festival de Hammamet, en 1964, avec Othello, ce petit joyau de la rive sud de la Méditerranée n'était pas encore totalement terminé. Construit selon les normes grecques, il offre, de par sa situation au bord de l'eau, une source d'air frais si agréable par ces temps de canicule. De plus, il paraît qu'en ce temps-là, le merveilleux Ali Ben Ayed, qui nous a fait aimer le théâtre, a dû mettre la main à la pâte, en aidant à la finition de la scène et des gradins avec des seaux de mortier! A chaque pas qu'on fait dans ce lieu magique, une émotion nous prend ! Vendredi soir, une autre émotion a attiré les centaines de mélomanes, en majorité des femmes, à venir applaudir la classe de Leila Hjaiej. Le plaisir allait être sur scène, mais il était d'abord sur les gradins à la vue de ces visages si beaux, si heureux... à telle enseigne qu'il était légitime de chanter, comme Enrico Macias : «Ah qu'elles sont jolies, les filles de mon pays!».... Une entame bien à propos Ceux qui connaissent bien Leila Hjaiej savent à quel point son engagement est une nature. Enseignante universitaire, elle porte en elle les valeurs si chères de la générosité et de la citoyenneté. Quoi de mieux qu'un poème de Chebbi pour commencer ? Celui-là même qui a rassemblé le peuple un certain 14 janvier 2011 ! Le sens est resté le même, mais les conditions sont différentes. «La volonté de vivre», de vivre libre, de vivre responsable, de se libérer de toute ingérence dans les choix de vie de chacun, mais de construire ensemble un monde de respect et de tolérance pour douze millions de personnes qui ne demandent qu'à être solidaires et égales. La voix de Leila s'élève comme s'était élevée la voix de Souad Mohamed dans une composition de Riadh Sombati, passant ce message fort du plus grand poète de tous les temps. Puis elle enchaîne avec Gaza, la ville toujours meurtrie, blessée, souffrante, gémissante, qui n'en finit pas d'enterrer ses enfants et ses femmes bombardés au gré des caprices d'un dictateur sanguinaire appelé Netanyahou! La merveilleuse voix off de Walid Tlili, que le plaisir de retrouver est toujours immense, cite Ahmed Foued Najm, tandis que Leïla salue Gaza avec un poème écrit et composé par Mohamed Hijazi, un Palestinien. Derrière la troupe de quatorze musiciens de talent, les voix de la chorale (trois garçons et trois filles) se joignent à la voix sublime de l'élève de feu Ali Sriti pour chanter dans le mode charqi «Nahawand», deux «mouachah» peu connus de Hédi Jouini. Ensuite, et après une autre œuvre non moins orientale de Mohamed Abdelwahab, «Ya msafer wahdak», elle retrouve la musique tunisienne avec des compositions de Lotfi Bouchnaq «Tounsiya», de Ali Riahi «Ya Bousaid el ali», une zinkoulah si rare puis, enfin, la «Metnaheda», de Samir Agrebi. L'invité d'honneur L'amitié de Zied Gharsa avec l'enfant prodige de la chanson tunisienne, Leila Hjaiej, ne date pas d'hier. Les deux artistes se côtoient à l'Association de Carthage pour le Malouf et la musique tunisienne mais, auparavant, ils sont montés sur la scène de Carthage ensemble, en 2009, dans une soirée réussie. «Me voilà», annonce-t-il, bien assis devant son clavier, et il enchaîne avec Cheikh Ifrit: «Qad ma amalt maak». L'orchestre se tait pendant que Zied s'en va titiller ses cordes vocales comme dans une impro. Il salue Chokri Belaid dans «Ya dam khouya», tandis que le silence du public se lit comme un hommage rendu un 25 juillet, date de l'exécution, il y a un an, d'un autre militant non moins patriote: Haj Mohamed Brahmi. «Pour que la soirée ne soit pas triste», comme il l'a annoncé, Zied puise dans le patrimoine ses chansons fétiches «Achega», «Bahdha hbibti», «Méguiès», «Serr w khonnar» puis «lommima» et «Kam iarou»... Au retour de Leila sur scène, Zied se lève et la surprend dans un duo improvisé de Hédi Jouini: «Lamouni elli gharou minni», puis «Ellila aid» et enfin l'hymne national. En conclusion, la soirée était bien ficelée dans sa première partie, aussi bien dans les poèmes engagés que les chansons orientales ou tunisiennes. La performance vocale de Leila Hjaiej a été grande et n'avait d'égale que sa maîtrise du chant. En revanche, mis à part ses improvisations de Cheikh Ifrit (succulentes) ou sa sensibilité si émouvante dans «Iommima», ou «Ya dam khouya», Zied a voulu donner une connotation festive comme il a pris l'habitude de le faire ces derniers temps, à cette soirée que, manifestement, il était heureux de partager. On sentait, tout au long de ses derniers spectacles, un défi lancé aux obscurantistes et aux terroristes de l'ombre, pour dire que la fête va continuer et que seule la musique est notre arme contre le fanatisme. Le public semble adopter cette même attitude avec ses applaudissements nourris et en restant debout à plus d'une reprise. Soirée réussie, en somme, où il serait injuste d'oublier la qualité de la sono, œuvre de Mohsen Matri, et la performance des musiciens guidés par Abdelbasset Metsahel avec une mention spéciale pour un virtuose de génie : Mohamed Gharbi qui, au violon, nous a emportés vers un autre monde. «Retenez ce nom, dit Zied, il est fabuleux». Mohamed assurera une soirée à Hammamet en compagnie de son frère Béchir au luth, considéré comme un surdoué, voire le meilleur jeune luthiste du monde arabe. Et, que la fête continue.... La musique, c'est tous les jours!