Homme de terrain en charge de la lutte antiterroriste, le général Mohamed Salah Hamdi claque la porte. Les raisons de sa démission sont à rechercher, selon les spécialistes, dans le manque de coordination entre l'armée, la garde nationale et la police et les interférences de certaines parties politiques L'information est tombée comme un couperet suscitant étonnement et stupéfaction : Mohamed Salah Hamdi, chef d'état-major de l'armée de terre et premier responsable de la lutte menée par l'Armée nationale au jebel Chaâmbi contre les terroristes qui y sont retranchés depuis près de deux ans, a démissionné de ses fonctions. La nouvelle a été confirmée hier après-midi par le ministère de la Défense (voir encadré). Reste à savoir pourquoi Mohamed Salah Hamdi, nommé fin juillet 2013 en remplacement du général Rachid Ammar, a-t-il décidé de tirer sa révérence, une année presque jour pour jour après avoir été désigné pour nettoyer jebel Chaâmbi des jihadistes qui s'y sont installés et présenté comme un homme de terrain qui conduisait en personne les opérations de ratissage, de déminage et de traque des semeurs de mort. Et les supputations sur les réels mobiles de cette démission inattendue de pleuvoir au moment où la Tunisie se prépare à prendre possession de douze hélicoptères Black Hawk américains destinés à la lutte antiterroriste (voir La Presse du dimanche 27 juillet). Y a-t-il un lien quelconque entre la démission de Mohamed Salah Hamdi (déposée selon les premières révélations le 23 juillet) et la visite éclair de Mehdi Jomâa à Tebessa et sa rencontre avec Abdelmalek Sellal, Premier ministre algérien, au cours de laquelle il a été question presque exclusivement de la coopération et de la coordination entre les armées tunisienne et algérienne en matière de lutte contre les terroristes retranchés au jebel Chaâmbi, surtout que l'Algérie a déployé, selon des informations de presse, quelque 8.000 soldats sur la frontière tuniso-algérienne. En demandant à quitter ses fonctions, Mohamed Salah Hamdi voulait-il protester contre l'opération réhabilitation des anciens militaires appartenant au groupe dit le groupe de Barraket Essahel qui ont repris leurs galons et dont certains vont réintégrer l'armée comme l'a laissé entendre le président provisoire de la République, Moncef Marzouki, lors de la cérémonie du 24 juillet. Si on quitte l'armée, c'est pour toujours Autant d'interrogations, d'analyses et de pronostics qui entourent la mystérieuse démission de Mohamed Salah Hamdi. La Presse a recueilli les réactions ou les lectures de certains spécialistes qui suivent de près l'action menée par l'Armée nationale et l'institution sécuritaire (police et garde nationale) ainsi que les interventions répétées de la cellule de crise présidée par Mehdi Jomâa, chef du gouvernement, en vue de faire face à l'hydre terroriste. Pour Nasr Ben Soltana, président du Centre tunisien des études de sécurité globale, «la démission de Mohamed Salah Hamdi s'inscrit dans un contexte général même si toutes les interprétations ou lectures peuvent être valables. Homme de terrain et en charge quotidienne de la lutte contre les terroristes, il a sûrement compris que la stratégie suivie jusqu'ici en la matière n'est pas la plus indiquée à réaliser les résultats escomptés. Son geste dénonce à coup sûr la campagne de dénigrement dont souffre actuellement l'institution militaire accusée d'avoir failli à sa mission. C'est aussi un cri contre les tiraillements politiques dont les auteurs mettent en cause la compétence de l'institution militaire qui commence à avoir le sentiment que certaines parties sont en train de la saboter en servant les intérêts des terroristes qui semblent bénéficier, de plus en plus, de soutien parmi les populations locales». Nasr Ben Soltana va encore plus loin pour souligner que «les relations qu'entretiennent certaines parties tunisiennes avec les pays étrangers finançant le terrorisme ne sont plus un secret pour personne. Et ces parties n'arrêteront jamais leurs tentatives portant atteinte à la capacité des institutions militaire et sécuritaire d'éradiquer le terrorisme. En tout état de cause, l'armée ne peut rester indifférente à la situation générale qui prévaut dans le pays, surtout qu'elle est en train de payer presque quotidiennement le prix fort». Deux autres raisons pourraient avoir poussé Mohamed Salah Hamdi à plier bagage. «D'abord, le manque de coordination avec les Algériens comme certains analystes le laissent entendre. Seulement, ils oublient que cette question est une question purement politique et l'armée ne peut qu'appliquer les ordres des politiciens. Plus encore, en Tunisie et du fait des interférences politiques, il n'y a pas d'entente ou de consensus sur l'identification de l'ennemi à combattre. Alors qu'en Algérie, les choses sont claires et l'ennemi est tout indiqué. Quant à la réhabilitation des membres du groupe des militaires de Barraket Essahel, elle constitue un coup dur porté à l'institution militaire parce qu'il est communément admis dans les mœurs militaires que quand on quitte l'armée pour n'importe quelle raison, on n'y retourne jamais. Les militaires condamnés injustement dans cette affaire peuvent être réhabilités moralement et financièrement mais ne doivent en aucune manière être réintégrés dans l'armée», tient à relever le président du Centre tunisien pour les études stratégiques. Le grand absent, la coordination «Beaucoup de mystère entoure les dernières opérations menées par les terroristes qui ont fait 17 victimes parmi nos soldats. Le malheur est que ces drames ont eu lieu à quelques kilomètres de nos frontières avec l'Algérie. On nous parle à longueur de journée de la coordination sécuritaire avec les Algériens. En réalité, sur le terrain, il n'en est rien», soutient Fayçal Chérif, universitaire et analyste militaire. Il revient à la rencontre Jomâa-Abdelmalek Sellal à Tebessa pour s'interroger: «De quoi les deux hommes ont-ils parlé exactement? Personne ne peut répondre à cette question. La Tunisie a-t-elle demandé davantage de soutien de la part des Algériens qui auraient peut-être répondu négativement ? En tout état de cause, Mohamed Salah Hamdi était sur le terrain et il sait de quoi il a besoin», relève-t-il. Outre la décision de Marzouki de réhabiliter les militaires de Barraket Essahel qui n'a pas plu à l'institution militaire, notre analyste évoque l'épineuse question de la coordination toujours inopérante entre les trois corps sécuritaires chargés de la lutte antiterroriste, à savoir l'armée, la police et la garde nationale. «Les canaux de transmission des informations ne fonctionnent pas toujours avec la célérité qu'impose la dangerosité de la situation. On attend encore les instructions de sa hiérarchie. Au niveau opérationnel, nos soldats donnent l'impression qu'ils sont dans un ghetto, coupés du monde. Une autre donnée est à mettre en exergue : l'armée ne peut jamais être sous les ordres de quiconque, c'est bien elle qui doit avoir tout le monde sous ses ordres. Le général Mohamed Salah Hamdi doit avoir le sentiment que ses enfants sont en train de mourir inutilement. Et puis la gaffe du 24 juillet commise par Marzouki est inacceptable», conclut Fayçal Chérif. A. DERMECH