La fête a été bien belle. Elle aurait été totale si Jerba ne souffrait autant dans son environnement C'est avec des masques et en portant des banderoles de protestations que les habitants étaient tout de même venus admirer les œuvres émaillant les murs de Hara Esseghira, aujourd'hui rebaptisée Erriadh. Et c'est de manière totalement pacifique qu'ils firent passer leur message, acceptant même de se laisser entraîner dans une danse improvisée par deux Jerbiennes d'adoption qui ne voulaient pas que la fête soit gâchée par la tristesse. La fête fut donc superbe, et le musée à ciel ouvert créé à l'initiative du galeriste Mahdi Ben Cheikh, une magnifique réalisation, fera date dans l'histoire du Street Art. Celui-ci en est persuadé : le Street Art, né aux USA, mais qui n'y a pas vraiment réussi, ayant rencontré une grande audience en France, a fait de Jerba un de ses pôles les plus importants. Ils étaient venus, nombreux, de l'étranger, à l'invitation de Mahdi Ben Cheikh, pour le constater : des journalistes, et aucun événement, à ce jour, n'a suscité autant de retombées positives sur notre pays. Des représentants de fondations françaises ou internationales, toujours en quête d'événements à suivre et à soutenir. Des responsables de foires d'art contemporain qui suivent de près l'air du temps. Des députés français d'origine tunisienne, des éditeurs que l'aventure intéresse, des Tunisiens de la diaspora que rien de ce qui concerne la Tunisie ne laisse indifférents. Et puis ceux qui étaient venus de Tunis, artistes, galeristes, collectionneurs, trop peu de journalistes, et pas assez de responsables. Les Jerbiens, de souche ou d'adoption, connus pour leur hospitalité, ont ouvert leurs maisons, tout au long du circuit, et recevaient dans leurs patios les visiteurs le temps d'une halte, d'un rafraîchissement, d'une discussion. Des espaces d'art, d'artisanat, et de design, dont certains étaient inaugurés ce jour-là, présentaient, à l'occasion, leurs nouvelles collections. Des ateliers d'artistes recevaient, dans la soirée, les amis des arts. Et même la synagogue, la mythique Ghriba, ouvrait en dehors des heures habituelles, pour ceux qui souhaitaient la visiter. Le superbe musée Lella Hadhria, dont tout le monde convient qu'il n'a pas l'aura qu'il mérite dans le monde, et qui est, à notre gré, tant par son architecture que par la richesse et l'éclectisme de ses collections, un des plus beaux de cette région du monde, ouvrait ses jardins intérieurs pour une réception de bienvenue. Un circuit était organisé pour ce que l'on a appelé le «Hors Piste», c'est-à-dire les artistes qui ont travaillé en dehors des limites de la Hara, dans le très ancien et très emblématique Borg Ben Ayed, du nom de cet ancien ministre du Bey, potentat fabuleusement riche dont l'histoire de l'île a gardé la mémoire. Jerbahood ne s'achèvera pas ainsi. Contrairement à la Tour du 13e, qui a été l'expérience extraordinairement réussie de Mahdi Ben Cheikh, rien ne sera détruit. Au contraire, les œuvres seront entretenues, d'autres pourront s'y ajouter. Et Albin Michel, qui a consacré un superbe ouvrage à «La Tour», en a programmé un second sur Jerbahood. Mieux encore, Jerbahood voyagera : les artistes qui ont participé à cette aventure exposeront leur regard sur Jerba à l'Institut du Monde Arabe au printemps prochain, et c'est à l'occasion de cette exposition que sortira le livre. Alors que les déjà nostalgiques se consolent, Jerbahood est un corps vivant, un mouvement qui continuera à vivre et à se développer, à générer d'autres événements, ce qui est le propre d'une greffe réussie.