Mahdi Ben Cheikh est tombé dedans quand il était tout petit. Un père peintre et responsable des Beaux-Arts en Tunisie, une mère professeur d'arts plastiques en France, qui lui a fait partager sa passion. Il lui était difficile d'échapper à son destin. Il devint donc, lui aussi, professeur d'arts plastiques. Mais jamais, au grand jamais, il n'avait pensé devenir galeriste. Racontez-nous cette aventure ! Un jour, dans le Marais, ce quartier qui concentre, à Paris, la vie des arts la plus «pointue», j'ai rencontré un lieu : le terme «rencontre» est choisi à bon escient, car, pour moi, cet espace pourrait justement être un lieu de rencontres et d'échanges d'expériences. Expériences que j'ai eu très vite envie de partager. Ainsi naquit la galerie Itinérance, une galerie d'avant-garde, spécialisée dans le Street Art, qui fit connaître de nombreux artistes, comme le Tunisien El Seed. C'est à partir de là qu'est née aussi l'étonnante expérience de la Tour du 13e, à Paris, et plus récemment Jerbahood. Promouvoir le Street Art, est-ce vraiment le rôle d'une galerie? Chaque galeriste a un but : il peut choisir de vendre le plus possible, ou d'accompagner un mouvement. Le cubisme, le surréalisme ont été accompagnés par les plus grands galeristes, ceux qui ont écrit l'histoire de l'art. Aujourd'hui, le mouvement montant est le Street Art. J'ai choisi de l'accompagner Le Street Art est né aux USA... En effet, c'est aux USA que le Street Art est né dans les années 80. Mais il y a été rejeté, réprimé, et ce n'est que plus tard, à Paris, que le marché du Street Art s'est développé et professionnalisé. C'est ainsi que de grands événements ont marqué l'évolution et l'explosion du Street Art, comme ceux de La fondation Cartier, du Grand Palais, du Musée de la Poste, ou de la Tour du 13e. Il faut savoir qu'aujourd'hui, il y a cinq ventes aux enchères de Street Art par an. Je vais vous poser une question de néophyte : que peut-on vendre en matière de Street Art ? Des mobiliers urbains, des panneaux de signalisation, des objets de transition de la rue à la galerie, et puis, bien sûr, tout ce que ces artistes peuvent produire à l'intérieur de la galerie, à condition que ce qu'ils présentent ait la même force que ce qu'ils font sur les murs. Je travaille avec eux pour cela, pour que leur travail soit aussi puissant, aussi intéressant, aussi incisif dans la galerie que dans la rue. Pour revenir à la très belle aventure de la Tour du Paris 13e... En fait, cela avait commencé autour de la galerie. J'avais fait venir des artistes à Itinérance. Ils avaient travaillé sur les murs voisins. Les plus grands artistes avaient transformé l'environnement de la galerie. Mais il fallait chaque fois demander des autorisations, soumettre des projets, faire voter les murs par la mairie et les bailleurs de fonds... En passant devant cette tour vouée à la démolition, je me suis dit «voilà ce qu'il me faut». Un emplacement superbe, de grandes surfaces de murs, et pas d'autorisations à demander. On a commencé par les façades, puis on est entré dans les appartements vides. C'est un événement qui a fait date dans l'histoire du Street Art. Les gens attendaient des heures pour y entrer, et il y a eu 1.800 articles dans le monde entier. C'est de là qu'est né le projet de Jerbahood ? Oui, bien sûr. Je me demandais comment moi, Tunisien, pouvais faire transiter toute cette communication, et en faire, d'une manière ou d'une autre, bénéficier la Tunisie. Le Street Art est un mouvement majeur dans le monde de l'art. Il s'agit de le prendre en route, de s'y inscrire aujourd'hui et maintenant. Grâce au net, on va vers l'instantané. La Tunisie doit participer à plein temps à ce mouvement, et non pas faire du mimétisme trente ans plus tard. Jerbahood allait devenir le musée idéal du Street Art, un musée à ciel ouvert, vivant, avec un respect total des normes muséales : thème, idée d'ensemble, scénographie, lumière. Il obéit à l'impératif que je me suis donné : en dehors de la galerie qui est un espace commercial, toute action doit être gratuite, généreuse, pour ne pas dénaturer le mouvement. Bien sûr, il a fallu trouver les sponsors pour faire venir, loger et travailler les 150 artistes venus de 30 pays différents et souvent lointains. Autour du village, et cela aussi me réjouit, une trame économique est en train de se tisser : des cafés, des galeries s'ouvrent. Des touristes viennent qu'il faut loger. Des visites s'organisent, qu'il faut structurer. Mais ce musée vivant est-il éphémère ? S'il est vivant, il est pérenne. Les fresques actuelles ont été vernies, et peuvent durer seize ans, sauf celles qui sont peintes sur la chaux. Mais ce qui est important, c'est que le musée peut continuer à vivre, c'est une image en mouvement, une perpétuelle effervescence. D'autres artistes viendront, proposeront de nouveaux projets, ce sera un autre Jerbahood. L'aventure Jerbahood n'est pas terminée. On sait que vous préparez un grand événement à l'Institut du Monde Arabe Effectivement, on fera voyager Jerbahood, et on l'exposera à l'IMA .Je ne peux pas encore déflorer le projet, mais sachez que tous les artistes seront impliqués, et que cela constituera une magnifique mise en valeur de la Tunisie jeune, dynamique, innovante, que nous aimons. Le projet a séduit Jack Lang, et il est programmé pour le 15 avril prochain. C'est à cette occasion que l'on présentera le livre qu'Albin Michel — qui a déjà consacré un livre superbe à La Tour Paris 13 — présentera le livre Jerbahood.