Green Power Technologie, Huawei et Watany Group Energy renouvellent leur partenariat en Tunisie    Nouvelles nominations au ministère de l'Industrie, de l'Energie et des Mines    Les internautes se lâchent sur « l'Etat tunisien unifié » de la Kasbah !    Daily brief national du 25 avril 2024: Saïed demande d'accélérer l'élaboration de plans de développement équitable    BH Assurance: Distribution d'un dividende de 1,500 dinar par action à partir du 02 mai    Signature d'une convention de coopération entre les ministères des Finances et du Commerce    Espagne : Sanchez pourrait être démoli par un scandale de corruption, sa femme aurait croqué la pomme    WTA 1000 Madrid : Ons Jabeur défie Slovaque Schmiedlová    L'Espérance de Tunis vs Al Ahly d'Egypte en demi-finale de la Coupe d'Afrique des clubs Oran 2024    Appel à la prise en charge des crèmes solaires par la CNAM    12 % du budget alimentaire Tunisien gaspillé quotidiennement    Officiel: La Jamaïque reconnaît l'Etat de Palestine    Mabrouk Korchid : aucune interview que je donne n'est un crime !    Artes : chiffre d'affaires en hausse de près de 22%    Volley | La Mouloudia de Bousalem vice-champion d'Afrique : Un cas édifiant !    Le ST reçoit l'USM samedi : Un virage majeur    Ligue des champions – Demi-finale retour – Mamelodi Sundowns-EST (demain à 19h00) : Pleine mobilisation…    OneTech : clôture de la cession de son activité d'emballage pharmaceutique Helioflex au profit du groupe Aluflexpack AG    CONDOLEANCES : Feu Abdelhamid MAHJOUB    Météo : Temps passagèrement nuageux et températures entre 18 et 26 degrés    Mahdia : recherches en cours de pêcheurs disparus en mer    Les ministres de l'Intérieur tunisien et libyen : Ras Jedir, symbole de la coopération tuniso-libyenne    Au nom des travailleurs de la mer    Aujourd'hui, ouverture de la 9e édition du Festival International de Poésie de Sidi Bou Saïd : Un tour d'horizon de la poésie d'ici et d'ailleurs    La Tunisie invitée d'honneur au Festival international du film de femmes d'Assouan 2024 : En l'honneur du cinéma féminin    Nominations au ministère de l'Industrie, des Mines et de l'Energie    L'EST demande une augmentation des billets pour ses supporters    Gabès: Une unité de cogénération à la société chimique ALKIMIA    Ridha Zahrouni : il n'y a pas de stratégie de lutte contre la violence en milieu scolaire    INM: Les quantités de pluies enregistrées en millimètres durant les dernières 24H    Kais Saied félicite le nouveau président de la chambre législative    Kais Saied : ''Personne n'est au-dessus des lois''    Le Chef de la diplomatie reçoit l'écrivain et professeur italo-Tunisien "Alfonso CAMPISI"    La Tunisair annonce des mesures pour faciliter le retour des TRE    Kais Saied dénonce les échecs de l'économie rentière    Monastir : bientôt la création d'un circuit touristique à Lamta    Stade d'El Menzah : Une étude de faisabilité sous l'œil des experts Chinois    Géologie de la Séparation : un film tuniso-italien captivant et poétique à voir au CinéMadart    Hospitalisation du roi d'Arabie saoudite    L'homme qui aimait la guerre    Foire internationale du livre de Tunis : vers la prolongation de la FILT 2024 ?    Malentendues de Azza Filali    Brésil: Elle vient à la banque avec le corps de son oncle pour avoir un prêt en son nom    Ultimatum législatif aux Etats-Unis : TikTok doit être vendu sous un an ou disparaître !    Anne Gueguen sur la guerre à Gaza : la France œuvre pour une solution à deux Etats !    Soutien à Gaza - Le ministère des Affaires religieuse change le nom de 24 mosquées    Un pôle d'équilibre nécessaire    Chute de mur à Kairouan : Le tribunal rend son jugement    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le passage par le truchement du mythe
Le mensuel de La Presse : Du roman au film
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 10 - 2010


Par Kamel BEN OUANES
Adapter ne signifie guère transposer une matière littéraire dans une sorte de moule cinématographique. Adapter, c'est «transfigurer» le récit littéraire en une autre forme. De ce point de vue, passer du roman au film, ce n'est pas un simple changement de support ou d'habillage, mais suppose nécessairement l'invention d'une structure narrative nouvelle. Et c'est à ce niveau précisément que se jouent les contraintes techniques, esthétiques et sémantiques de l'adaptation. La preuve que le sens du texte ne préexiste pas à son élaboration, ou à sa composition. Néanmoins, le récit, qu'il soit littéraire ou cinématographique, est constitué non seulement d'histoire, mais aussi de narration. Dans ce sens, un film ou un roman ne se réduit pas à ce qui est raconté, mais se définit davantage par la manière avec laquelle sont agencés et structurés les événements qui meublent sa trame.
La narration est le terme consacré pour désigner les moyens techniques et esthétiques que l'auteur utilise pour raconter l'histoire. Autrement dit, la narration peut épouser une trajectoire temporelle plus ou moins claire. Elle peut aussi admettre des retours en arrière ou au contraire des anticipations (analepses et prolepses), ou encore des ruptures temporelles (ellipses). Ce sont précisément les modalités de cette narration qui déterminent le sens de l'œuvre. De ce point de vue, l'histoire serait secondaire par rapport à la narration, presque un simple prétexte pour composer une œuvre. D'ailleurs, la parfaite perfection à laquelle tend toute l'histoire du roman, du moins occidental, est de créer un roman sur rien, une sorte de poétique pure où seul compte le langage qui dans certaines expériences focalise exclusivement le travail de l'écrivain. Cet idéal esthétique était au cœur de certaines expériences littéraires de Flaubert au Nouveau Roman, en passant par le mouvement oulipien, avec notamment Queneau et Italo Calvino.
A l'instar du roman, le film ne peut échapper à cette loi de l'écriture, puisque là aussi l'histoire que raconte un film n'a aucune signification en dehors de la forme que l'écriture donne au récit.
Pour saisir de plus près cette problématique, nous pouvons poser cette question : un roman épistolaire peut-il devenir «un film épistolaire» ? Aucun des cinéastes ayant adapté Les liaisons dangereuses de Laclos, Vadim, Frears ou Forman n'avaient envisagé cette perspective. Le motif de la correspondance qui structure le roman de Laclos est réduit dans le film à un élément diégétique, donc lié à l'histoire. De même, un roman à tiroirs, avec ses digressions et ses enchâssements peut-il trouver son équivalent dans un langage cinématographique ? Autrement dit, peut-on adapter les Mille et une Nuits, Don Quichotte de Cervantès ou À la recherche du temps perdu de Proust sans sacrifier aucun épisode de cette vaste machine narrative ? Nullement. Pourtant, ces trois textes avaient souvent inspiré les scénaristes et les cinéastes, mais toujours d'une façon fragmentaire, voire oblique, au gré d'un intérêt pour tel ou tel épisode et jamais d'une manière intégrale.
S'il y a une telle différence entre l'œuvre littéraire et l'écriture cinématographique, on se demande alors ce qui pousse les cinéastes à chercher leur matière dans les romans. Pour répondre à cette question, nous partons d'un postulat : ce que le cinéaste cherche dans une œuvre littéraire, c'est une sorte de noyau qui a toute la configuration d'un mythe : mythe littéraire, mythe historique ou religieux ou encore mythe cosmique. Dans ce sens, l'adaptation cinématographique d'un texte littéraire montre la capacité du cinéma à perpétuer les grandes unités anthropologiques qui, sous les formes les plus diverses, n'ont cessé de nourrir l'imaginaire.
Ce rapport, voire cette filiation entre le cinéma et le mythe est parfois explicite, parce que le roman, objet d'adaptation, en fait son thème central. Mais il arrive souvent que ce rapport soit implicite. Ce qui nécessite au préalable un travail de décryptage de la part de la critique ou du public. C'est le cas du célèbre roman de Flaubert Madame Bovary, une œuvre qui a fait l'objet de nombreuses adaptations dont particulièrement celle de Claude Chabrol et celle du Portugais Manoel de Oliviera. En effet, si Chabrol a essayé d'être proche de l'atmosphère romanesque du XIXe siècle, Manoel de Oliviera a marqué une nette distance par rapport au roman, en réactualisant le cadre historique et géographique du roman, en transposant l'action dans le Portugal d'aujourd'hui. Cependant, dans les deux cas, on retrouve ce qui constitue le noyau de l'œuvre et qui renvoie à un mythe, celui de l'Androgyne. En effet, la quête d'Emma se concentre autour de ce territoire qu'elle cherche à investir, celui du pré-langage, de la pré-sexualité, un avant monde historique. Vivre pour Emma, c'est donc tenter de revenir à quelque chose d'originel, à une première sensation de fusion entre deux âmes et que cristallise le mythe de l'Androgyne. Bien sûr, à ce mythe platonique sont greffées d'autres structures archétypales comme l'antagonisme entre la vérité et le mensonge, c'est-à-dire entre la pureté des valeurs et la médiocrité de la société bourgeoise du XIXe siècle.
Un autre roman a focalisé l'intérêt de plusieurs cinéastes : Les liaisons dangereuses de Laclos. Les trois versions de Roger Vadim, de Frears et de Milos Forman sont certes différentes, mais il y a pourtant quelque chose de récurrent, d'immuable que le roman confie presque en filigrane aux trois films et donc au langage cinématographique. Ce quelque chose s'exprime par une « articulation entre le mal et le beau », c'est-à-dire entre l'éthique et l'esthétique. En effet, le couple de libertins Valmont et Merteuil se lancent des défis et se jouent du destin des êtres. Mais pour ce couple, le mal ne relève pas du registre moral, mais il est perçu comme la voie salutaire devant conduire à faire une œuvre d'art. Dans ce sens, l'art a besoin de vice et de mal ou encore de cruauté pour assurer son éclosion. Ce qui apparaît donc au cœur de cette relation problématique entre éthique et esthétique, c'est le mythe de Dionysos dans sa configuration nietzshéenne.
L'adaptation du roman de Marguerite Duras L'Amant par le cinéaste J. J. Arnaud a suscité une vive polémique entre le cinéaste et la romancière. En effet, alors que la romancière a essayé de donner à son texte une facture particulière, dépouillée et située à la charnière entre les confessions et le travail sur le langage, selon les principes supposés du Nouveau Roman, lui, le cinéaste a opté pour un style grandiloquent avec fioritures et maniérisme. Le roman et le film appartiennent certes à deux univers différents. Mais ce passage du littéraire au filmique ne gomme pas cet archétype souterrain commun aux deux opus : la jeune européenne attachée à son amant asiatique n'arrive pas à arracher ce dernier aux bas-fonds d'un royaume caché où il ne cesse de sombrer. Cela renvoie au mythe d'Orphée et d'Eurydice, avec tout de même cette nuance qu'ici Orphée n'est pas un musicien, mais un écrivain et qu'il est incarné par une femme.
Ces exemples nous montrent que dans le processus de l'adaptation, ce qui demeure invariable et résiste à toute forme de transformation, c'est ce noyau central, ce mythe qui circule d'un langage à un autre et qui constitue non seulement le lien de parenté, mais aussi le dénominateur commun à toutes les expériences artistiques.
C'est dire que le mythe n'est pas un message, mais un passage, c'est-à-dire un élément qui assure le transfert ou la transposition d'une forme à une autre. Cela est d'autant plus important que le mythe qu'on cherche à décrypter dans la matière romanesque, comme dans n'importe quelle matière sociale ou historique, correspond à une structure de l'imaginaire collectif, à une anthropologie culturelle. A ce propos, Paul Ricœur note dans son ouvrage Le conflit des interprétations que «les mythes ne seraient pas des fables, c'est-à-dire des histoires fausses, irréelles ou illusoires, mais l'exploration sur un mode symbolique de notre rapport aux êtres et au monde» (p.518)
Tant qu'on n'a pas repéré la structure du mythe dans un roman, (comme dans la réalité sociale qui nous entoure) l'adaptation (voire l'ensemble du processus de l'écriture cinématographique) demeure impossible, même si le roman fascine et intéresse le cinéaste. Ce qu'on demande à un cinéaste, pas forcément de nous raconter une nouvelle histoire originale et pertinente qu'il pourrait puiser dans un roman ou dans la réalité, mais de nous livrer sa lecture du réel par le truchement d'une configuration mythique intelligible qu'il puiserait dans un roman ou dans la réalité. C'est pourquoi le cinéaste n'est pas un faiseur d'images, mais un créateur qui s'applique à exprimer sa lecture personnelle et subjective du réel.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.