Ce qu'on écrase, ce qui tient debout    Promouvoir l'emploi des jeunes en Tunisie: lancement du projet « Tunisie professionnelle »    Appel à retirer la confiance à Fatma Mseddi : Wael Naouar annonce l'initiative    Beach hand – Championnat du monde U17 : la Tunisie éliminée en quarts de finale par la Hongrie    Tennis – WTA 500 de Berlin (Double dames): La paire Jabeur-Badosa déclare forfait    19.95: la meilleure moyenne nationale obtenue au baccalauréat par le matheux Mohamed Nasraoui    Alerte rouge sur les côtes de Monastir : des poissons morts détectés !    La poétesse tunisienne Hanen Marouani au Marché de la Poésie 2025    « J'aimerais voir l'obscurité » : la nuit confisquée de Khayam Turki    Le ministre du Tourisme : La formation dans les métiers du tourisme attire de plus en plus de jeunes    Hôpitaux : plus de 900 opérations de la cataracte réalisées aujourd'hui au profit des démunis    Classement QS mondial des universités 2026 : l'Université de Tunis El Manar progresse de 40 places    L'huile d'olive bio de Zarzis conquiert les marchés américain et français    Ispahan sous les bombes : Israël frappe encore le site nucléaire iranien    Accès gratuit aux musées militaires ce dimanche    La Ministre des Finances : « Nous veillons à ce que le projet de loi de finances 2026 soit en harmonie avec le plan de développement 2026-2030 »    L'Iran lance une 18e vague de représailles contre l'entité sioniste    L'églantine: Une petite rose, beaucoup de bienfaits et une véritable richesse pour la région de Zaghouan    69e anniversaire de la création de l'armée nationale : Une occasion pour rapprocher l'institution militaire du citoyen    Le ministère des Affaires étrangères confirme le décès du jeune Tunisien Abdelmajid Hajri en Suède    Coupe du monde des clubs : L'Espérance de Tunis bat le Los Angeles FC    Nafti, à Istanbul, pour participer à une réunion extraordinaire des ministres arabes des Affaires étrangères    Séisme de magnitude 5,1 frappe le nord de l'Iran    El Amra : les autorités démantèlent un nouveau camp de migrants subsahariens    Les musées militaires tunisiens ouvrent leurs portes gratuitement ce dimanche    Budget : l'ARP lance sa propre réforme, faute d'initiative gouvernementale    Israël, l'Occident et l'hypocrisie nucléaire : le sale boulot à deux vitesses    Face au chaos du monde : quel rôle pour les intellectuels ?    Festival arabe de la radio et de la télévision 2025 du 23 au 25 juin, entre Tunis et Hammamet    Ons Jabeur battue au tournoi de Berlin en single, demeure l'espoir d'une finale en double    Carrefour Tunisie lance le paiement mobile dans l'ensemble de ses magasins    WTA Berlin Quart de finale : Ons Jabeur s'incline face à Markéta Vondroušová    Caravane Soumoud de retour à Tunis : accueil triomphal et appels à soutenir la résistance palestinienne    CUPRA célèbre le lancement du Terramar en Tunisie : un SUV au caractère bien trempé, désormais disponible en deux versions    AMEN BANK, solidité et performance financières, réussit la certification MSI 20000    Météo en Tunisie : légère hausse des températures    15 ans de prison pour le nahdhaoui Sahbi Atig    Grève des jeunes médecins : large mobilisation et risque d'escalade    Grève générale dans le secteur agricole tunisien prévue le 25 juin : la fédération lance un avertissement    Joséphine Frantzen : rapprocher la Tunisie et les Pays-Bas, un engagement de chaque instant    Kaïs Saïed, Ons Jabeur, Ennahdha et Hizb Ettahrir…Les 5 infos de la journée    Berlin Ons Jabeur en quarts de finale face à Markéta Vondroušová    Skylight Garage Studio : le concours qui met en valeur les talents émergents de l'industrie audiovisuelle    Festival Au Pays des Enfants à Tunis : une 2e édition exceptionnelle du 26 au 29 juin 2025 (programme)    Découvrez l'heure et les chaînes de diffusion du quart de finale en double d'Ons Jabeur    Le Palais de Justice de Tunis: Aux origines d'un monument et d'une institution    Tunisie : Fin officielle de la sous-traitance dans le secteur public et dissolution d'Itissalia Services    La Tunisie mobilise les soutiens en faveur de son candidat l'ambassadeur Sabri Bachtobji, à la tête de l'Organisation Internationale pour l'Interdiction des Armes Chimiques (OIAC)    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Le passage par le truchement du mythe
Le mensuel de La Presse : Du roman au film
Publié dans La Presse de Tunisie le 02 - 10 - 2010


Par Kamel BEN OUANES
Adapter ne signifie guère transposer une matière littéraire dans une sorte de moule cinématographique. Adapter, c'est «transfigurer» le récit littéraire en une autre forme. De ce point de vue, passer du roman au film, ce n'est pas un simple changement de support ou d'habillage, mais suppose nécessairement l'invention d'une structure narrative nouvelle. Et c'est à ce niveau précisément que se jouent les contraintes techniques, esthétiques et sémantiques de l'adaptation. La preuve que le sens du texte ne préexiste pas à son élaboration, ou à sa composition. Néanmoins, le récit, qu'il soit littéraire ou cinématographique, est constitué non seulement d'histoire, mais aussi de narration. Dans ce sens, un film ou un roman ne se réduit pas à ce qui est raconté, mais se définit davantage par la manière avec laquelle sont agencés et structurés les événements qui meublent sa trame.
La narration est le terme consacré pour désigner les moyens techniques et esthétiques que l'auteur utilise pour raconter l'histoire. Autrement dit, la narration peut épouser une trajectoire temporelle plus ou moins claire. Elle peut aussi admettre des retours en arrière ou au contraire des anticipations (analepses et prolepses), ou encore des ruptures temporelles (ellipses). Ce sont précisément les modalités de cette narration qui déterminent le sens de l'œuvre. De ce point de vue, l'histoire serait secondaire par rapport à la narration, presque un simple prétexte pour composer une œuvre. D'ailleurs, la parfaite perfection à laquelle tend toute l'histoire du roman, du moins occidental, est de créer un roman sur rien, une sorte de poétique pure où seul compte le langage qui dans certaines expériences focalise exclusivement le travail de l'écrivain. Cet idéal esthétique était au cœur de certaines expériences littéraires de Flaubert au Nouveau Roman, en passant par le mouvement oulipien, avec notamment Queneau et Italo Calvino.
A l'instar du roman, le film ne peut échapper à cette loi de l'écriture, puisque là aussi l'histoire que raconte un film n'a aucune signification en dehors de la forme que l'écriture donne au récit.
Pour saisir de plus près cette problématique, nous pouvons poser cette question : un roman épistolaire peut-il devenir «un film épistolaire» ? Aucun des cinéastes ayant adapté Les liaisons dangereuses de Laclos, Vadim, Frears ou Forman n'avaient envisagé cette perspective. Le motif de la correspondance qui structure le roman de Laclos est réduit dans le film à un élément diégétique, donc lié à l'histoire. De même, un roman à tiroirs, avec ses digressions et ses enchâssements peut-il trouver son équivalent dans un langage cinématographique ? Autrement dit, peut-on adapter les Mille et une Nuits, Don Quichotte de Cervantès ou À la recherche du temps perdu de Proust sans sacrifier aucun épisode de cette vaste machine narrative ? Nullement. Pourtant, ces trois textes avaient souvent inspiré les scénaristes et les cinéastes, mais toujours d'une façon fragmentaire, voire oblique, au gré d'un intérêt pour tel ou tel épisode et jamais d'une manière intégrale.
S'il y a une telle différence entre l'œuvre littéraire et l'écriture cinématographique, on se demande alors ce qui pousse les cinéastes à chercher leur matière dans les romans. Pour répondre à cette question, nous partons d'un postulat : ce que le cinéaste cherche dans une œuvre littéraire, c'est une sorte de noyau qui a toute la configuration d'un mythe : mythe littéraire, mythe historique ou religieux ou encore mythe cosmique. Dans ce sens, l'adaptation cinématographique d'un texte littéraire montre la capacité du cinéma à perpétuer les grandes unités anthropologiques qui, sous les formes les plus diverses, n'ont cessé de nourrir l'imaginaire.
Ce rapport, voire cette filiation entre le cinéma et le mythe est parfois explicite, parce que le roman, objet d'adaptation, en fait son thème central. Mais il arrive souvent que ce rapport soit implicite. Ce qui nécessite au préalable un travail de décryptage de la part de la critique ou du public. C'est le cas du célèbre roman de Flaubert Madame Bovary, une œuvre qui a fait l'objet de nombreuses adaptations dont particulièrement celle de Claude Chabrol et celle du Portugais Manoel de Oliviera. En effet, si Chabrol a essayé d'être proche de l'atmosphère romanesque du XIXe siècle, Manoel de Oliviera a marqué une nette distance par rapport au roman, en réactualisant le cadre historique et géographique du roman, en transposant l'action dans le Portugal d'aujourd'hui. Cependant, dans les deux cas, on retrouve ce qui constitue le noyau de l'œuvre et qui renvoie à un mythe, celui de l'Androgyne. En effet, la quête d'Emma se concentre autour de ce territoire qu'elle cherche à investir, celui du pré-langage, de la pré-sexualité, un avant monde historique. Vivre pour Emma, c'est donc tenter de revenir à quelque chose d'originel, à une première sensation de fusion entre deux âmes et que cristallise le mythe de l'Androgyne. Bien sûr, à ce mythe platonique sont greffées d'autres structures archétypales comme l'antagonisme entre la vérité et le mensonge, c'est-à-dire entre la pureté des valeurs et la médiocrité de la société bourgeoise du XIXe siècle.
Un autre roman a focalisé l'intérêt de plusieurs cinéastes : Les liaisons dangereuses de Laclos. Les trois versions de Roger Vadim, de Frears et de Milos Forman sont certes différentes, mais il y a pourtant quelque chose de récurrent, d'immuable que le roman confie presque en filigrane aux trois films et donc au langage cinématographique. Ce quelque chose s'exprime par une « articulation entre le mal et le beau », c'est-à-dire entre l'éthique et l'esthétique. En effet, le couple de libertins Valmont et Merteuil se lancent des défis et se jouent du destin des êtres. Mais pour ce couple, le mal ne relève pas du registre moral, mais il est perçu comme la voie salutaire devant conduire à faire une œuvre d'art. Dans ce sens, l'art a besoin de vice et de mal ou encore de cruauté pour assurer son éclosion. Ce qui apparaît donc au cœur de cette relation problématique entre éthique et esthétique, c'est le mythe de Dionysos dans sa configuration nietzshéenne.
L'adaptation du roman de Marguerite Duras L'Amant par le cinéaste J. J. Arnaud a suscité une vive polémique entre le cinéaste et la romancière. En effet, alors que la romancière a essayé de donner à son texte une facture particulière, dépouillée et située à la charnière entre les confessions et le travail sur le langage, selon les principes supposés du Nouveau Roman, lui, le cinéaste a opté pour un style grandiloquent avec fioritures et maniérisme. Le roman et le film appartiennent certes à deux univers différents. Mais ce passage du littéraire au filmique ne gomme pas cet archétype souterrain commun aux deux opus : la jeune européenne attachée à son amant asiatique n'arrive pas à arracher ce dernier aux bas-fonds d'un royaume caché où il ne cesse de sombrer. Cela renvoie au mythe d'Orphée et d'Eurydice, avec tout de même cette nuance qu'ici Orphée n'est pas un musicien, mais un écrivain et qu'il est incarné par une femme.
Ces exemples nous montrent que dans le processus de l'adaptation, ce qui demeure invariable et résiste à toute forme de transformation, c'est ce noyau central, ce mythe qui circule d'un langage à un autre et qui constitue non seulement le lien de parenté, mais aussi le dénominateur commun à toutes les expériences artistiques.
C'est dire que le mythe n'est pas un message, mais un passage, c'est-à-dire un élément qui assure le transfert ou la transposition d'une forme à une autre. Cela est d'autant plus important que le mythe qu'on cherche à décrypter dans la matière romanesque, comme dans n'importe quelle matière sociale ou historique, correspond à une structure de l'imaginaire collectif, à une anthropologie culturelle. A ce propos, Paul Ricœur note dans son ouvrage Le conflit des interprétations que «les mythes ne seraient pas des fables, c'est-à-dire des histoires fausses, irréelles ou illusoires, mais l'exploration sur un mode symbolique de notre rapport aux êtres et au monde» (p.518)
Tant qu'on n'a pas repéré la structure du mythe dans un roman, (comme dans la réalité sociale qui nous entoure) l'adaptation (voire l'ensemble du processus de l'écriture cinématographique) demeure impossible, même si le roman fascine et intéresse le cinéaste. Ce qu'on demande à un cinéaste, pas forcément de nous raconter une nouvelle histoire originale et pertinente qu'il pourrait puiser dans un roman ou dans la réalité, mais de nous livrer sa lecture du réel par le truchement d'une configuration mythique intelligible qu'il puiserait dans un roman ou dans la réalité. C'est pourquoi le cinéaste n'est pas un faiseur d'images, mais un créateur qui s'applique à exprimer sa lecture personnelle et subjective du réel.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.