A chaque fois que le festival de Carthage programme un spectacle de tango, on voit très vite les gradins se remplir. Décidément le public tunisien et quelques expatriés aiment bien ses rythmes «diablement» chauds et sensuels, le tragique et la passion dont tout tango ne peut se passer. Le ballet argentin de la fondation Julio Bocca a drainé un grand nombre de spectateurs attentifs et passionnés. Les danseurs étoiles de cette compagnie ne se sont pas contentés d'interpréter quelques tableaux, ils ont proposé un spectacle qui retrace l'histoire du tango depuis ses débuts comme danse «machiste» des dockers sur les quais de Buenos Aires, l'engouement de la jeunesse argentine, les marginaux dans ses quartiers malfamés, jusqu'à la reconnaissance de ses titres de noblesse à travers les scènes prestigieuses du monde entier. Autour des deux danseuses étoiles de la compagnie Julio Bocca, Eleonora Cassano et Cecilia Figaredo, d'élégants danseurs interprètent l'histoire passionnante de cette danse et partagent la scène avec l'orchestre «China Cruel» et la chanteuse Karina Levine. Avec cet orchestre live sur scène, les tableaux du spectacle sont d'autant plus poignants, mettant en évidence la relation ô combien intime entre musique et danse dans le tango. Une relation qui ressemble fortement à la fusion parfaite du flamenco ( lui aussi danse et musique chargée d'un lourd vécu). «Les cinq actes de ce ballet marquent les différentes étapes de l'histoire de cette danse : le premier acte remonte à 1860 et évoque la naissance de cette musique ; le second se situe entre 1900 et 1920 et rend compte de tout un contexte social avec ses lieux infâmes et son public dépravé qui gravitent autour du Tango. Le troisième acte se situe en 1930 et marque le boom du tango auprès de la jeunesse de Buenos Aires et tout ce qu'il représente comme monde de marginaux, de contestation et de rébellion. A cette époque, des chansons commencent à s'imposer : de jeunes argentins fortunés commencent à migrer vers l'Europe et plus particulièrement vers Paris. Le tango est alors adopté en France et aux USA. Le quatrième acte se situe entre 1940 et 1970. Ce sont les nouveaux rythmes comme le rock et la pop qui se substituent peu à peu au tango, considéré comme passé de mode : il connaîtra ses premières heures de déclin. Tout semblait perdu pour le tango, jusqu'à l'arrivée d'Astor Piazolla, qui a osé moderniser le rythme tango. Le dernier acte va des années 80 jusqu'à 2009. C'est un retour sur les nouvelles performances et les compositions d'une qualité inégalée qui redonnent ses lettres de noblesse au tango, avec son caractère toujours aussi sensuel», a expliqué Eleonora Cassino lors de la conférence de presse qui s'est tenue le jour même du spectacle, dans un hôtel de la capitale. Elle ne manquera pas de noter que le cinéma français, avec le film culte de Rodolfo Valentino, a immortalisé le stéréotype du latin lover. Il est vrai aussi que le cinéma a contribué énormément à la popularité de cette danse- musique, surtout à grâce au film Tango, de Carlos Saura. Revenons au spectacle ! Il est vrai que la magie était au rendez-vous, le tango de cette compagnie éveille les passions, emballe les cœurs. Sur scène, ces corps à corps, ces silhouettes qui se déchirent dans une danse chargée de sentiments forts, de tragique et de ferveurs où les jambes s'entremêlent et où le froufrou des robes se brise sur les cadences brutales du tango, tous les ingrédients d'un beau et bouleversant spectacle était là devant nos yeux. Il ne manquait pas, par ailleurs, la touche d'ironie et de dérision qui fait la différence et qui emballe le public quand ces danseurs évoquent les «nouvelles danses», l'arrivée du rock and roll et de la pop et quand ces corps majestueux et élégants, avec leur gestuelle précise, s'adonnent à un swing brouillon et à des figures acrobatiques disgracieuses. Cette touche d'humour n'était pas pour déplaîre au public. Le ballet Julio Bocca a réussi un double pari: raconter avec passion l'histoire du tango et divertir un public non moins passionné.