Jomâa appelle les entrepreneurs à sortir de l'attentisme et à investir massivement dans l'avenir du pays L'emploi. Ce fut la première revendication des jeunes Tunisiens qui avaient amorcé un mouvement révolutionnaire. Après presque quatre années, la thématique revient au-devant de la scène lors des journées de l'entreprise organisées par l'Institut arabe des chefs d'entreprise (Iace), placées sous le signe «L'entreprise et le capital humain : productivité et partage». Deux jours durant, des chefs d'entreprise, des politiciens de premier rang, des représentants de la société civile et des institutions internationales débattront de tous les aspects de l'emploi et du travail, notamment la flexibilité, la rémunération, la productivité, la sécurité... «Nous nous devons tous de répondre d'une manière aussi claire que précise à la question : qu'avons-nous fait et que pouvons-nous apporter comme réponse à notre population et surtout à nos jeunes ?», a souligné le président de l'Iace, M. Ahmed Bouzguenda. Au nom des chefs d'entreprise, il lance un appel pressant aux prochains gouvernants de la Tunisie, gouvernement, Parlement et présidence de la République, portant sur la nécessité de maîtriser deux préalables : «La sécurité et la stabilité politique». Deux préalables qui permettraient à l'entreprise de renforcer son statut de levier incontournable de croissance économique, mais également un puissant vecteur de progrès social. Consensus sur les réformes Dans le même ordre d'idées, il a réclamé une communication claire, transparente et crédible sur les politiques économiques et «un socle de consensus minimum» sur les réformes à engager. Toutefois, la croissance potentielle conséquente aux réformes à entreprendre ne permet pas de résorber le chômage structurel, note-t-il. D'ailleurs, le marché du travail compte 750 mille chômeurs, alors que 150.000 emplois sont non pourvus dans nos métiers, précise-t-il. Et de conclure : «Un schéma de développement est à chercher et à ériger». En vue de stimuler les débats, le directeur de l'Iace a posé une série de questions portant sur la sécurité du travail, la productivité où la Tunisie occupe la dernière place dans la région de la Méditerranée, la rémunération et la flexibilité où la Tunisie est à la 129e place sur une liste de 144 pays. A son tour, le fondateur de l'Iace, M. Mansour Moalla précise que l'entreprise ne peut prospérer que par la contribution des salariés, faisant allusion à l'esprit de collaboration qui doit régner dans les entreprises entre employeurs et employés. «J'ai vécu dans la peur de l'échec», se rappelle-t-il de son passé de chef d'entreprise. Le capital humain est la principale ressource du pays, que l'on a investi depuis l'indépendance. L'heure des réformes a sonné Le chef du gouvernement, Mehdi Jomâa, a prédit deux à trois ans de réformes intenses, qui ne seront pas du goût de tout le monde. «Tout le monde apprécie les réformes tant qu'elles ne touchent pas aux privilèges», martèle-t-il. Aujourd'hui, poursuit-il, on doit avoir le courage d'engager des réformes, toutes les réformes, « car les sacrifices doivent venir de partout ». Il est grand temps de mener des réformes, selon Mehdi Jomâa, après une période de transition «douloureuse et coûteuse». «Cela a été coûteux puisqu'on est en phase de recherche et développement d'une démocratie et on n'a pas cherché à implémenter un modèle démocratique importé», explique-t-il à sa manière la transition démocratique dans un langage de dirigeant d'entreprise. Et l'entreprise, estime-t-il, est la seule entité capable de pérenniser cette expérience démocratique. Aujourd'hui, nous sommes à un tournant, rappelle-t-il, où il faut aller vers la création de richesses en misant sur les ressources humaines, principale ressource de l'entreprise. Dans cette configuration, l'entreprise prendra le relais de l'Etat, «car l'Etat n'a plus les moyens d'investir. On est en train d'emprunter pour consommer», déplore-t-il en raison de la situation des finances publiques. Dans cette perspective, il a appelé les entrepreneurs à investir massivement dans l'avenir de la Tunisie, qui a tout d'une start-up de la démocratie, notamment des potentiels à valoriser, mais aussi des risques à courir. Pour les entreprises, le message de Jomâa est clair. Et s'adressant aux travailleurs, le chef du gouvernement a lancé deux maîtres mots : «Travail et discipline». «Investisseurs, investissez; travailleurs, travaillez!», a-t-il conclu, avant de préciser qu'au cours de la prochaine étape, il faut basculer «d'une politique politicienne à une politique de leadership». Lors du premier panel portant sur la croissance potentielle et les niveaux réalisés, l'ancienne ministre française de l'Emploi et de la Solidarité, Elizabeth Guigou, a mis l'accent sur le rôle des investissements croisés dans la région de la Méditerranée dans la résorption de l'écart, mais également dans la résolution d'un ensemble plus large de problématiques économiques, sociales et environnementales. «Il faut assurer une mobilité circulaire dans cette région, trait d'union entre l'Europe et l'Afrique», souligne-t-elle. Relativisant le manque de performance de l'économie tunisienne, le représentant la Banque européenne d'investissement, Philipe de Fontaine Vive, estime : «Vous étiez très occupés par la transition démocratique». En tant que bailleur de fonds, il rappelle que le fait de payer ses dettes et d'assurer que le pays continuera à honorer ses engagements financiers est de nature à envoyer des signaux rassurants aux institutions de Washington, Banque mondiale et Fonds monétaire international, ainsi que ceux de Bruxelles, notamment la Commission européenne. Répliquant à la thèse du banquier, l'ancien ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a proposé au Premier ministre tunisien de créer une institution financière pour la région du sud de la Méditerranée, «car la BEI reste la banque de l'Europe», précise-t-il. Et de promettre : «Les trésoriers européens viendront chez vous».