Fruit d'un travail où l'auteur mêle son savoir académique et sa connaissance du terrain, l'ouvrage Diplomatie occidentale et dissidence arabe de Kaïs Ezzerelli offre le recul d'un regard qui ramène en arrière, sans renoncer au présent. Le drame syrien qui se déroule sous nos yeux depuis de nombreux mois a des tenants et des aboutissants qui s'enracinent dans une situation complexe, celle du Moyen-Orient avec ses multiples protagonistes. La flamme du Printemps arabe qui est parvenue dans la région dans la période qui a suivi la révolution tunisienne n'a fait en réalité qu'attiser le feu d'un conflit par rapport auquel l'antagonisme des puissances régionales se double de visées de pays plus lointains... On pourra deviser longtemps pour décider que tel acteur est essentiel tandis que les autres ne sont que secondaires. Il n'est pas sûr que le débat puisse être clos de sitôt. En revanche, on peut avec grand profit prendre du recul avec l'historien et montrer à quoi ressemblait la situation politique du pays il y a de cela un siècle. La situation était bien différente : l'empire ottoman était agonisant mais existait encore alors que, de son côté, Israël n'était encore qu'un projet dans la tête de certains juifs en Europe et en Amérique. Pourtant, au-delà de toutes ces différences évidentes, il y a aussi des ressemblances frappantes. C'est ce que nous invite à considérer un livre paru récemment grâce aux soins d'une jeune maison d'éditions — Al Wasla — sous le titre suivant : Diplomatie occidentale et dissidence arabe. L'auteur, Kaïs Ezzerelli, enseigne actuellement l'histoire du monde arabe à Tunis après des études à Paris, mais aussi après quelques années passées en Syrie et au Liban «dans le cadre de ses recherches doctorales». Le texte qu'il vient de publier nous permet de plonger dans l'univers du «mouvement arabiste» qui, déjà à l'époque, rêvait d'émancipation et de liberté mais qui allait se heurter à la logique implacable des rivalités coloniales. Transcendant les frontières confessionnelles en son sein, ce mouvement, rappelle l'auteur, rassemblait en son sein musulmans et chrétiens. Il pouvait bien, à ce titre, être séduit par le modèle français, et espérer que la France serve de relais d'assistance à la réalisation d'un nouveau projet politique pour la Syrie, alors sous domination ottomane... Mais les choses ne devaient pas se passer ainsi. Bien sûr, on devine à travers ce rapprochement suggéré, à un siècle de distance, entre le rôle joué par la France hier et, aujourd'hui, un travail de dénonciation qui ne lésine pas sur les éléments à charge. La conclusion du livre, qui permet à l'auteur d'abandonner franchement la casquette académique de l'historien pour celle du polémiste tourné vers l'actualité, ne fait que clarifier les choses de ce point de vue. La question, dès lors, est la suivante : cette convocation du passé, à laquelle donne lieu l'ouvrage, est-elle le fait d'une démarche scientifique sobre, ou est-elle subtilement orientée par des choix de lecture préalables... ? Une interrogation qui n'enlève rien, toutefois, à la qualité des éclairages apportés et à un texte qui parvient à entraîner aisément le lecteur dans les méandres d'une époque révolue. R.S. Diplomatie occidentale et dissidence arabe (La France coloniale et le mouvement arabiste en Syrie ottomane entre 1912 et 1914), Kaïs Ezzerelli, Editions Al Wasla, 218 p, 15 D