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Un Atlas, un dictionnaire, un répertoire
Bonnes feuilles Histoire de la Tunisie «Les grandes dates, de la Préhistoire à la Révolution»
Publié dans Le Temps le 01 - 07 - 2012

720 pages ; 40 cartes, 80 dates balisées et 650 illustrations : travail titanesque et passionné accompli par Habib Boularès l'un des plus grands représentants de l'école humaniste tunisienne.
Cet ouvrage qui manquait réellement à la mémoire collective tunisienne ne se veut pas une succession de dates figées. Boularès ne se complait pas dans le confort de ces heureux historiens se limitant à ressasser l'Histoire. En adulte de notre époque, il tient en haleine les lecteurs à travers un fil conducteur. Il ne tombe pas néanmoins dans la facilité consistant à dire que l'Histoire est un éternel recommencement.
Sa démarche fluide, sa langue nourrie de l'intensité lucide, interpellent autant qu'elles alertent pour finalement aboutir depuis la préhistoire, jusqu'à la Révolution. Comme pour dire que tout s'enchaîne, et que tout se révèle comme dans une évidence géométrique. Habib Boularès écrit entre autres, dans l'introduction au livre, introduction que nous reproduisons dans son intégralité, ceci : « Quand on dit que la Tunisie est un carrefour de civilisations. On ne dit rien. C'est de creuset qu'il faut plutôt parler, un alliage original qui ressemble à toutes ses composantes sans s'identifier seulement à l'une d'entre, elles ». Ce qui est important c'est que Habib Boularès, ne cède pas, à la tentation révisionniste.
Voici le texte intégral de l'introduction de l'ouvrage.

Qu'est ce qu'un « honnête homme » du XXIème siècle ne doit pas ignorer de la longue histoire de la Tunisie ? Des réponses simples et rapides viennent à l'esprit : la fondation de Carthage en -814, les guerres puniques contre Rome, Amilcar en Espagne, Hannibal franchissant les Alpes, Scipion détruisant Carthage en -146, Rome triomphante dans l'Africa, les Arabes en Ifriqiya, les Normands sur les côtes, Saint Louis et sa croisade, les Espagnols, les corsaires, les Beys, la colonisation française, l'indépendance et, depuis peu, la Révolution. Comment, cependant, isoler des dates significatives de leur contexte, et éviter, tout autant, de se laisser emprisonner dans une suite chronologique ? Il n'y a pas que les dates qui comptent. Le « Comment c'est arrivé » prend, parfois, un relief particulier et met en scène des personnages devenus icônes. Hannibal, sa famille et Carthage, peuvent être donnés en exemple : de nombreuses personnes dans le monde, surtout de culture latine, hispanique ou italienne, s'appellent Hannibal ou Annibal, voire Amilcar, et de nombreuses villes ont pour nom Carthage ou Carthagène. L'Antiquité tunisienne interpelle des personnes qui, parfois, ne savent même pas où se trouve la Tunisie. De même l'admiration des sociologues pour le grand historien musulman Ibn Khaldoun ou le souvenir toujours vivant des Chiîtes Ismaéliens : qui se rappellent que la dynastie Fatimide avait trouvé un berceau en Tunisie ? Et la croisade de Saint Louis, pourquoi ? comment ? Tant d'événements concourent à focaliser l'attention de plusieurs publics sur Carthage la punique, l'Africa des Romains, l'Ifriqiya des Arabes, les corsaires, sans oublier les odalisques et les harems. On s'aperçoit, alors, que la réponse simple et rapide est insuffisante. Ce livre se lit comme un atlas, un dictionnaire ou un répertoire. Les chapitres sont des articles sur des faits ayant participé à la définition progressive d'un pays et de son peuple. Chaque date est une unité avec son propre contexte. Mais parfois, les dates s'estompent au profit d'une thématique, car le plus important, alors, ce n'est plus une date, mais le développement d'un phénomène particulier. L'Africa romaine, par exemple, n'est plus un pays indépendant aux prises avec d'autres, mais un espace où des changements sociologiques, culturels, confessionnels sont à l'œuvre. Ce n'est plus la date qui retient l'attention, mais le déroulement durant des siècles d'un phénomène. Parfois, quand les dates comptent, mais reflètent des phénomènes concomitants, il y a nécessité de les grouper. Ainsi au moment de la colonisation : le mouvement de libération nationale se développe parallèlement à l'action du pouvoir dominant et du bras de fer entre les deux. On ne saurait séparer l'un de l'autre, comme on le fait quand on raconte uniquement l'histoire du mouvement de la libération. Les faits se passent sur plusieurs plans et ils sont interactifs.
Ecrire l'Histoire, c'est s'interroger sur les événements marquants du passé, c'est afficher une vision de ces événements, une interprétation des faits et des gestes de monarques, généraux, coteries, peuples, en liaison avec des changements climatiques ou économiques, des migrations, des dominations, des ambitions et des déceptions, bref en liaison avec l'aventure humaine. On n'a jamais écrit l'Histoire du même point de vue d'une génération à l'autre, d'un pays à l'autre et du côté des gagnants comme du côté des perdants. Même dans le cadre d'une unité affichée, comme dans l'Union européenne, le Français, le Tchèque, l'Allemand et le Polonais ne peuvent écrire l'histoire des guerres napoléoniennes de la même, manière. Or, pour notre partie du continent africain, cette Africa ou Maghreb, nous connaissons peu la véritable histoire des Berbères. Nous connaissons l'histoire de Carthage et des Puniques par les Grecs et les Romains. Nous connaissons mal l'histoire des Vandales. Nous connaissons la conquête arabe par les conquérants. Même à l'époque contemporaine où les documents et les témoignages abondent nous éprouvons quelques difficultés à démêler le fait de son interprétation.
L'historien professionnel a la lourde tâche de se livrer à ce travail de recherche du minerai, de le débarrasser de sa gangue et de le mettre à la place qui convient dans la durée. Mais ce travail de mineur a, lui-même, subi des transformations, soit sous l'effet du changement des méthodes scientifiques (le rôle de l'Ecole des Annales, ou celui du marxisme, par exemple), soit sous le poids de l'idéologie (religion, racisme, colonialisme, etc). Il appartient donc au lecteur de l'Histoire de choisir son point de vue. Il peut déployer des efforts méritoires pour connaître toutes les thèses en présence, d'essayer de concilier les contraires, de tenter une synthèse, mais le choix final est le sien.
Ce livre est l'ouvrage d'un lecteur politique, plus précisément d'un auteur qui s'est posé la question centrale suivante, hors de toute considération religieuse, partisane ou ethnique, pourquoi et comment la Tunisie est, aujourd'hui, ce qu'elle est physiquement, socialement, culturellement ? Il s'agit d'y répondre à partir d'une documentation solide puisée chez les historiens professionnels spécialisés et auxquels l'auteur rend hommage, même lorsque ses conclusions sont différentes des leurs. Ils ont fait un travail de recherche approfondie, l'auteur fait, ici, un travail de commentateur. Fact is fact, comment is free, disent les anglo-saxons : le fait est le fait, le commentaire est libre.
A partir de ce choix fondamental - la réponse à la question posée – il fallait opter entre la dissertation continue et la concentration de l'attention sur les dates retenues. C'est cette seconde démarche qui commande tout l'ouvrage. Il y a donc, nécessairement, des événements qui sont négligés, des sauts dans l'histoire. Cela n'empêche point que les dates choisies sont situées dans leur contexte dans la mesure où ce contexte a joué un rôle déterminant dans leur occurrence. Le propos n'est ni de dérouler un récit come un tapis roulant, ni de montrer uniquement la grandeur d'un régime ou l'éclat d'une époque. Ce n'est donc pas un livre apologétique. Nous n'en sommes plus là au XXIème siècle. Il fut un temps où notre dignité était niée. Nos écrivains, en nous défendant, montraient dans leurs écrits que nous étions un Etat depuis trois mille ans. De l'autre bord, des auteurs européens écrivaient que l'islamisation du Maghreb était le début de l'obscurantisme, de la décadence. A ceux-là répondait un mouvement de pendule glorifiant jusqu'à l'outrance l'ère arabo-musulmane au point de refuser de prendre en compte les siècles qui l'ont précédée. La colonisation a remis à l'honneur l'époque romaine et a occulté la punique Carthage et sa civilisation. A chaque époque des historiens, respectables quant à leur science, ont mis en avant leur point de vue. Seule compte pour les historiens romanistes l'Afrique romaine. Seuls les conquérants arabes méritent considération pour les historiens islamistes. Seul Ibn Khaldoun a rendu justice au peuple Amazigh, ces Berbères qu'aujourd'hui l'arabisme politique veut considérer descendants des Yéménites !
Il nous faut, nonobstant, tous ces points de vue, poser la question comment un territoire à partir duquel des métropole comme Carthage, Kairouan, Mahdia, Tunis, ont étendu leur pouvoir jusqu'au bout du Maghreb, jusqu'à l'Andalousie, à l'Ouest, et jusqu'au golfe de Syrte, à l'Est, se retrouve ramené aux dimensions de la Tunisie actuelle ? Comment un territoire qui a marqué l'histoire des Baléares, de la Corse, de la Sardaigne, de Malte et, surtout, de la Sicile, un territoire qui a entretenu des rapports suivis avec la mer, cette mer méditerranée qui a tellement influencé sa civilisation et sa culture, soit devenu un pays terrien replié sur ses oasis, ses oliveraies et ses plaines céréalières ? Comment un territoire qui s'appelait Africa a perdu son nom au profit du continent tout entier ? Il n'y a là aucune nostalgie, mais le désir de comprendre l'enfantement de l'Histoire. Et puis, sur un autre registre, ce pays était-il prédisposé à la radicalisation au point de se jeter dans la christianisme donatiste, le christianisme arianiste, l'islamisme kharijite, parfois, dans toutes ses outrances ? Ou bien est-il naturellement modéré au point de faire triompher le catholicisme au temps d'Augustin, et le sunnisme contre le chiîsme, le malékisme contre tout autre obédience dans l'Islam ?
Dans cette approche, il ya des dates qui comptent pour l'expansion du pouvoir et des dates pour le repli et le recul, des dates pour l'empire carthaginois et des dates pour l'empire romain ; des dates pour la christianisation et des dates pour l'islamisation ; de dates pour l'empire ottoman et des dates pour l'empire des colons. Aujourd'hui, on n'a pas le droit de faire l'histoire des phases glorieuses uniquement. Les pages sombres ne doivent pas être tournées. Elles sont pleines d'enseignement. Elles ont déterminé des évolutions. Elles nous disent comment nous sommes devenus ce que nous sommes.
Le mot est dit : qui sommes-nous ? Un jour, un visiteur averti m'a dit : « En m'entretenant avec vos compatriotes l'un me dit : je suis d'origine turque, l'autre me dit : je suis de descendance andalouse, et un autre se dit arabe... Pouvez-vous me dire qui sont Tunisiens ? » Je pouvais lui répondre : ils sont tous Tunisiens !
Mais la réponse serait insuffisante, car elle suppose l'existence d'un nationalisme ou d'un patriotisme dont il faut situer la date de naissance. Avant Carthage, l'autochtone appartenait à son groupe ethnique : Mazaces ou Amazigh, de la branche Baranès ou Botr, les deux racines berbères. Les Carthaginois se disaient Canaânis et non Phéniciens qui est une appellation grecque. Les sujets de l'empire romain se disaient Africains ou citoyens romains. Les Africains conquis par les Arabes, quand ils sont convertis, se disaient simplement Musulmans. J'avoue ne pas savoir comment se considéraient les sujets des Aghlabides ou des Hafsides, encore moins le sujets sunnites des Fatimides chiites. Curieusement, c'est avec les Ottomans qui ont divisé l'espace maghrébin en trois Pachaliks – d'Alger, de Tunis et de Tripoli – que les habitants de chacune des divisions, entraînés par les querelles de leurs gouvernants, s'identifient, alors, en tant qu'Algériens, Tunisiens et Tripolitains. Est-ce là un nationalisme naissant ou un régionalisme replié sur la défense d'un pré carré ? Et qu'étaient devenus tous les descendants des conquérants précédents qui n'avaient pas quitté le pays ? Une réponse d'un natif de Gafsa m'a toujours amusé. Sachant que cette région représente la zone d'habitat des tribus Hemamma Hilalienne, je lui demandais, s'il était Hemmami ? Il me répondit, avec beaucoup de subtilité : « Vous savez, chez nous, il y a des descendants des Turcs, il y a des Hemammas et il ya des Gafsis ! Les Turcs sont les descendants des Janissaires ottomans, les Hamammas.
Les descendants des Hilaliens, les Gafsis les descendants de ceux qui habitaient derrière les remparts ». Autant dire des descendants de toutes les autres populations qui s'étaient réfugiées à l'intérieur de la cité, au fur et à mesure des invasions ! Belle réponse qui peut s'appliquer à Tunis, à Kairouan, à Mahdia, au Kef, à Sfax ou à Sousse et à toutes les cités qui avaient des remparts solides.
Quand on dit, comme le répètent les slogans touristiques, que la Tunisie est un carrefour de civilisations, on ne dit rien. Un carrefour est un lieu de rencontre, on s'y croise et chacun continue son chemin. C'est de creuset qu'il faut plutôt parler, un creuset où se fondent des éléments divers pour donner naissance à un alliage original qui ressemble à toutes ses composantes sans s'identifier seulement à l'une d'entre elles. C'est là que réside l'originalité d'une ouverture d'esprit se traduisant par une adaptabilité que l'on observe chez tous ceux qui ne sont pas farouchement repliés sur leur prétendre origine ethnique. Il suffit de parcourir un annuaire pour voir se côtoyer des Zenati, Zouaoui ou Hawari avec des Dridi, Bellil ou Riahi et des Sancho, Kortobi, Malki ou même Bortkise, Tous sont Tunisiens, parce qu'un jour des frontières ont enfermé un territoire devenu leur véritable patrie et au sein duquel les mariages et les migrations régionales ont fait le reste pour donner naissance au citoyen de la République d'aujourd'hui.
Le processus de formation des nationalités est fascinant. Il est à la fois le produit du hasard, du volontarisme, des luttes libératrices et des refus d'assimilation à autrui. La clé est dans l'identité et celle-ci traduit la manière dont on se reconnaît bien plus que l'origine, un choix dicté par les contraintes cristallisant un héritage ou lui donnant un autre sens. Les Hilaliens, à leur arrivée dans le pays, étaient des Arabes et s'affirmaient comme tels. Restés en Ifriqiya ou déportés par les Almohades au Maghreb central ou occidental, ils sont devenus, plus tard, Tunisiens, Algériens ou Marocains. En Andalousie, et des siècles durant, les Arabes sont restés arabes, les Berbères sont restés berbères, et les Ibériques convertis sont restés des Mozarabes ( des mostaârabes, des arabisés) avec des quartiers ou des villages distincts. Mais chassés par la Reconquista catholique, ils sont tous accueillis au Maghreb en tant qu'Andalous. Ils sont restés andalous vis-à-vis des Beys qui trouvaient qu'ils étaient orgueilleux. Ils se sont affirmés Tunisiens face à la colonisation. Le choc de la colonisation espagnole ou française a fait de toutes les ethnies, cohabitant en Afrique du Nord, des combattants musulmans contre la croix. L'identité est l'Islam. Certains Berbères se sont déclarés Arabes, parfois pour ne pas donner prise aux tentatives de francisation exploitant les différences ethniques. Les mots mêmes de Tunisie et d'Algérie sont apparus au XIXe siècle en prenant pour base le pouvoir établi à Tunis ou à Alger. Mais Tunis est, pourtant, la capitale depuis le XIIe siècle et le royaume hafside ne s'appelait pas royaume de Tunis mais Bilad Emir Al-mouminine dans le traité concluant la croisade de Saint Louis. Pour que naisse la nationalité, il faut que naisse la nation qui est le fruit d'une résistance et la prise de conscience collective d'un sort commun. En égrenant les dates décisives, nous assistons à la naissance de ce sentiment. Ali Belhouane, l'illustre ténor des événements d'avril 1938 en Tunisie et le philosophe spécialiste de Ghazali, a écrit un opuscule significatif à la fin des années quarante : Nahnou Umma. Nous sommes une nation ! Il s'agissait de nous affirmer face au colonialisme. L'adjectif national est accolé à notre lutte de libération, à nos organisations populaires, voire à nos structures industrielles ou commerciales. Vint l'émergence de l'Arabisme en Orient et l'usage de ce qualificatif est retiré aux structures de tout pays arabe, car la Umma ne peut être que toute la nation arabe. Les structures d'un pays ne sauraient être, aux yeux des Arabistes, que Qotria ou Wataniya, territoriales, régionales, même si on continue à traduire l'adjectif en langues européennes par national. Aujourd'hui, pour les islamistes militants, la Umma ne peut être que celle de l'Islam alors que l'on réservait à la religion le mot Milla que l'on retrouve encore en Turquie. Ainsi évoluent les prises de conscience !
Les jeunes générations ont-elles conscience de cette alchimie ? Pour ma génération, la nationalité a une importance primordiale. Le nationalisme tunisien a connu un grand élan en s'opposant en 1930 à l'inhumation des naturalisés français dans les cimetières musulmans parce que le naturalisé, en adoptant une autre nationalité que la sienne d'origine, est « sorti » de sa communauté ; il a « tourné » - m'touren ! – autrement dit il retourné sa peau comme on retourne sa veste !
Aujourd'hui, la nationalité est, aux yeux de nombreux nationaux, une commodité juridique, un passeport, une possibilité de voyager et de s'établir quelque part dans le monde à l'ère de la mondialisation. Chez nous, si l'Union du Maghreb Arabe – UMA – conclue en février 1989, avait bien fonctionné, peut-être que tous les Mauritaniens, Marocains, Algériens, Tunisiens et Libyens seraient aujourd'hui des citoyens maghrébins ayant effacé les frontières. L'Histoire ne s'arrête pas. Il faut essayer de la voir à l'œuvre.
La période contemporaine a ses exigences, au regard de l'écriture. Les historiens demandent un délai assez long pour écrire ; les documents ne sont pas tous disponibles : il n'y a pas assez de recul pour juger du succès ou de l'échec d'une politique ; et, comment parler librement de facteurs d'histoire encore présents, sans suspicion ? Mais comment ne pas parler du présent quand il est si riche d'événements qui changent la face d'un pays, l'esprit de ses habitants et les espoirs d'avenir ? Au combat entre les entités d'un pays dans son environnement, se substitue une thématique du développement institutionnel, politique, économique, social, culturel, voire écologique, informatique ou sportif. Aussi avons-nous adopté cette démarche thématique pour parler du présent, rapidement, mais en élargissant le spectre plus que pour les périodes dites historiques parce que nous ne savons pas encore ce que retiendra l'histoire dans un siècle.
Destiné à un large public, le présent ouvrage n'est pas soumis à l'obligation académique de justifier chaque élément en renvoyant à des sources, sauf en cas de nécessité. Il n'est donc pas alourdi par un appareil d'érudition. Toutefois, comme nous ne pouvons pas lire l'histoire de certaines périodes sans renvoyer le lecteur à certains auteurs, l'indication de la référence entre parenthèses suffit. Tite-Live, Polybe, Appien, pour l'Antiquité, Gautier, Gsell, Charles-André Julien, pour la suite, Ibn Khaldoun, Ibn Abi Dhiaf, Talbi, pour la partie arabe, sont naturellement indiqués, et parfois avec des renvois précis quand cela paraît indispensable. En tout état de cause, les œuvres de ces historiens sont des œuvres maîtresses et personne ne saurait lire l'histoire de la Tunisie sans se référer à eux. Pour des données particulières ou pour des éléments prêtant à polémique, il y a nécessité d'indiquer la source avec précision. C'est le cas pour des auteurs comme Roger Casemajor ou Pellegrin. Enfin, est-il besoin de préciser que dans le présent contexte, il y a lieu de s'en tenir aux changements les plus importants et d'éviter de se laisser entraîner vers le développement de biographies qui n'ont pas ici leur place : et si le lecteur se sent encouragé à approfondir sa connaissance dans d'autres ouvrages, nous y verrons une grande gratification de nos efforts. Toute l'histoire ne peut pas tenir en un seul volume, fut-il de huit cents pages.

R.K


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