Riadh Ferjani : «Il y a confusion entre les instances dirigeantes, les militants et les électeurs» L'actualité de l'entre deux tours a été vivement marquée par le suspense autour du soutien de certains partis à l'un des candidats et la «neutralité» affichée par d'autres... Ces positions comptent-elles pour des consignes de vote ou d'abstention et ont-elles un impact réel sur le vote des électeurs ? Mardi, 16 décembre, la position du mouvement Ennahdha exprimée par son président, Rached Ghannouchi, sur la chaîne privée Nessma TV penchait, pour la majorité des analystes, en faveur du candidat Béji Caïd Essebsi. Après deux conseils de la Choura et deux semaines de suspense, au prix de plusieurs dissensions internes et de la démission de son ancien secrétaire général, Hamadi Jebali, la deuxième force politique au Parlement se range aux antipodes des préférences idéologiques de ses dirigeants « durs » et surtout de la quasi-totalité de ses bases qui viennent de voter massivement, au premier tour, son concurrent Moncef Marzouki. Moins d'une semaine auparavant, le Front populaire, quatrième force au Parlement, a appelé ses troupes à barrer la route à Marzouki sans pour autant s'en remettre inconditionnellement à Caïd Essebsi à qui il est demandé de clarifier davantage ses propres positions. Peu de temps après les résultats du premier tour, l'UPL (Union patriotique libre), troisième force parlementaire, annonçait son soutien total au candidat Caïd Essebsi, largement précédé en cela par le parti Afak qui, n'ayant pas présenté de candidat à la présidentielle, aura été le premier parti à initier le ralliement au lendemain des législatives. D'autres partis de moindre poids et nombre de personnalités indépendantes ont rejoint le camp Caïd Essebsi qui s'est vu sensiblement consolidé et a revendiqué une candidature qui fédère face à un adversaire politiquement isolé, notamment du fait de la neutralité affichée du mouvement Ennahdha dont les bases constituent son principal réservoir électoral. Annonce mitigée, écran de neutralité ou soutien public, les positions des partis ont-elles, pour autant un impact réel sur le vote des électeurs ? Se traduisent-elles concrètement par des reports de voix ou des appels à abstention ? La consigne de vote, aussi claire soit-elle, induit-elle forcément la discipline des troupes, opérationnelle en démocratie, dans un contexte de polarisation sociologique et idéologique où les deux candidats sont tout autant diabolisés par les électeurs l'un de l'autre ? Rien de moins sûr selon Riadh Ferjani, sociologue de l'information et membre de la Haica, qui l'explique ainsi : «Il y a une grande confusion entre les structures partisanes et les électeurs qui sont de simples citoyens. C'est une erreur de les considérer tous comme des militants prêts à obéir à leurs dirigeants et à se mobiliser, serait-ce contre leurs préférences. Dans notre contexte, les positions prises au sommet par les instances dirigeantes ne se traduisent pas forcément par des consignes de vote ou des reports de voix. En revanche, elles traduisent une connaissance obsolète et une mauvaise appréciation de ces instances quant à la conjoncture». Son constat est partagé par une majorité d'analystes qui ramènent la plupart de ces positions à leur dimension première : celle de la simple tractation électoraliste qui n'a rien à voir avec la tradition des reports de voix en vigueur en démocratie. (Lire entretien avec Hassen Zargouni)