Nous entamons avec cette livraison la seconde moitié de l'été, qui, comme un hôte de passage (dhif), défile à toute allure. Exceptionnellement, une fois n'est pas contoume, nous allons remonter le temps pour les besoins de la cause. Notre invitée cette semaine étant une femme très pressée, elle commence à confectionner ses chefs-d'œuvre, à la fin du printemps pour les uns et au début de l'été pour les autres, les céréales qu'elle utilise doivent absolument être encore vertes. Ne comprenez pas qu'elle mange son blé en herbe, comme nous le dit le célèbre proverbe français. Pas du tout! Le blé pas encore mûr sert d'ingrédient pour elle afin de réaliser une grande prouesse gastronomique. Faisons vite sa connaissance et levons le voile sur les secrets qui enveloppent ses petites créations, ça va nous procurer à coup sûr des plaisirs gustatifs immenses. Brika, pourvoyeuse de plaisirs Brika (ah! quel joli nom..) est née à Tebessa en Algérie à la fin des années trente du siècle dernier. Le destin a voulu qu'elle aille vivre à Souk Ahras, proche de la frontière tunisienne, où elle a rencontré son futur mari, mineur à l'origine puis , à force de labeur, est devenu un important propriétaire terrien. Mariée jeune,Brika a donné une nombreuse progéniture dont pas moins de trente-deux petits-enfants. Installée définitivement dans le pays de son mari, la Tunisie, elle n'a jamais oublié son terroir d'origine en Algérie. Pour conserver la mémoire de sa jeunesse, elle confectionne, chaque année, les délices de son enfance, des espèces de pâtes fines à la maghrébine qui déclinent des noms enchanteurs et pleins d'imaginaire. Frik et mermez sont consommés comme friandise durant toute l'année, que ce soit par les ruraux qui les concoctent ou les citadins qui les reçoivent en offrande par leurs amis, agriculteurs et paysans. Mais avant de passer aux recettes des délices de Brika, nous nous trouvons dans l'obligation d'implorer nos chers lecteurs de nous pardonner si, par hasard, une de nos définitions ne correspond pas aux leurs, c'est que par un esprit d'éthique, nous sommes fidèles aux intitulés et à la façon de faire que nous livrent nos divas. Passons alors au plus important. Pour préparer le mermez, Brika charge un de ses proches de couper l'orge avant complète maturité, elle le nettoie et le laisse sécher au soleil et le torréfie légèrement dans un tajine (poêle en terre). Moulu dans une r'ha domestique ou concassé dans un moulin public, le mermez sert à enrichir un potage par tout temps et par toute saison. Quant au frik, qui veut dire facile à ouvrir, il est obtenu par des opérations longues et fastidieuses. On commence par moissonner du blé (dur de préférence) encore vert, que notre artiste fait torréfier avec ses tiges et ses épis; sous l'action du feu, après cette opération complexe et qui nécessite un savoir-faire tout particulier, elle le débarrasse de toutes les impuretés pour ne laisser que les grains, ceux-ci sont concassés, à leur tour, pour obtenir le fameux frik qui servira à donner un goût de céréale aux différents potages qu'ils soient à la viande ou au maigre, que nos amis algériens apprécient tant. Toutes ces pratiques nous viennent probablement de notre voisin de l'ouest, que de nombreux spécialistes soupçonnent d'être à l'origine de notre plat commun : le couscous.