«La Tunisie peut être fière d'avoir enfanté un prophète d'aubes étincelantes de clarté; la France, en l'adoptant, ajoute à sa gloire; l'humanité, en l'écoutant, sortirait plus légère de la caverne qu'elle habite pour monter vers le bien et le beau». (Camille Bégué) Après l'étude exhaustive du professeur Adnan Zmerli parue dans le n°127 de la Revue d'histoire maghrébine, intitulée «Marius Scalési, poète et prosateur maghrébin francophone», ainsi que celles de Moncef Ghachem, Abderrazak Bannour et Yvonne Francasseti-Brandino, Hédi Balegh vient de publier, dans les éditions de l'imprimerie Artypo, une traduction en langue tunisienne (arabe parlé) des poèmes de Scalési, sous le titre de «Les poèmes d'un maudit» (Asch'ar mal'oun). Dans la fosse commune de la mémoire Marius Scalési est le sixième enfant d'une famille de condition très modeste. Il est né à Tunis le 6 février 1892. Son père, Sicilien, était employé comme aiguilleur à la Compagnie tunisienne des tramways. Sa mère, une Maltaise, travaillait comme femme de ménage. A cinq ans, Marius fait une chute dans les escaliers et se brise la colonne vertébrale. C'est la scoliose. La croissance de l'enfant est définitivement compromise, puisqu'il en portera toute sa vie les stigmates. Il sera petit et bossu. C'était, dit-il, «l'instant où j'ai cessé de vivre». Scalési dut quitter très tôt l'école et exerça de nombreux métiers dont celui de marchand de journaux. Pour l'autodidacte qu'il était, la bibliothèque El Attarine était son refuge. Dans ses «Poèmes d'Orient», il lui en dédie un où il la qualifie de «laïque Mecque». Après avoir travaillé, comme comptable, il devient le collaborateur attitré de La Tunisie illustrée et le titulaire de sa chronique littéraire. Il publie ses premiers poèmes et connaît une grande notoriété. En 1920, il est membre de la société des écrivains d'Afrique du Nord. Mais pour des raisons de santé, sa collaboration à La Tunisie illustrée devient aléatoire. Aggravation de la phtysie et de la scoliose. Atteint de méningite aiguë, Scalésie est d'abord admis à l'hôpital italien de Tunis, puis transféré dans un asile psychiatrique de Palerme où il décède fou, le 13 mars 1922 à l'âge de trente ans. Sa dépouille, non réclamée, a été jetée dans une fosse commune. Jetés dans la fosse commune de la mémoire, les poèmes de Scalési semblent connaître le même destin que lui. De solennelles visites espacées, puis l'oubli. Il y eut d'abord celle du 29 janvier 1937, quinze ans après son décès, cérémonie officielle qui réunit non seulement le Tout-Tunis culturel de l'époque mais aussi les plus hautes autorités officielles du Protectorat, ainsi que la cour beylicale. Depuis, le silence le plus pesant. Une longue traversée du désert, jusqu'au printemps de 1997 avec ce colloque sur Scalési, organisé par l'Université de Tunis, et la 4e édition de «Poèmes d'un maudit» par les soins de Abderrazak Bannour, rencontre tuniso-italienne qui a permis de jeter plus de lumière sur cette œuvre. Un an et demi plus tard, une autre rencontre à Palerme pour honorer l'œuvre et la mémoire d'un poète qui, un jour, a écrit : «Je suis homme et rien d'humain ne m'est étranger». Chebbi et Scalési, un destin commun Géniale l'idée de l'auteur, Hédi Balegh, d'avoir associé, dans un même élan, le destin tragique de ces deux hommes qui ont vécu dans la même ville, à quelques années près. Tous deux s'étaient révoltés contre la futilité et la fatalité d'une existence impitoyable qui «pulvérise les faibles», et les laissés-pour-compte, les rebuts de la société. Autre similitude : de constitution fragile, ils sont morts à un âge précoce. Dans leurs poèmes, se révèle une volonté inébranlable qui permet de se dégager de la loi d'airain du destin. Dans ce contexte, Scalési écrit : «La révolte, pensive, en mon âme agrandie M'apprit que le bonheur appartient au plus fort» Et Chebbi : «Qui refuse d'escalader les montagnes Vivra éternellement entre les fossés» Tous deux ont aspiré aux hauteurs et aux cimes vierges en prenant l'aigle pour symbole. «Je vivrai en dépit du mal et des ennemis, Tel un aigle au-dessus de la plus haute cime» A cet hémistiche de Chebbi fait écho le quatrain de Scalési dans «L'Epopée du pauvre» : «J'étais l'aigle enivré de lumineux espaces, Mon aile m'emportait de hauteur en hauteur Et j'absorbais de l'éther de mon essor vorace Quand m'atteignit le plomb perfide du chasseur». * Les poèmes d'un maudit, de Hédi Balegh, Ed. Artypo. Tunis 2010