Samedi dernier, à El Teatro. Besma Belaïd, Abdelmajid Belaïd, Hamma Hammami, Radhia Nasraoui, Bochra Belhaj Hmida, Kamel Jendoubi, Mokhtar Trifi, Selma Baccar...Tous étaient là, avec quelques figures médiatiques et une poignée d'artistes. Non, nous ne nous sommes pas trompés comme nous l'avions cru au départ. Ce n'était pas un meeting politique, mais bien la première de Solwen, la nouvelle création théâtrale de et par Leila Toubel. Cette fois, loin d'El Hamra et sans son compagnon de route Ezzeddine Gannoune — un fait important à souligner —, la comédienne a présenté un monodrame tragi-comique qui lui a valu un monumental standing-ovation de la part du public conquis, mais surtout bouleversé et ému. Solwen, c'est l'histoire d'une quadragénaire frappée d'amnésie, qui ne sait plus où elle en est et même, qui elle est, dans un temps et un espace inconnus. Le doute s'installe, la trouble. Questions et questionnements la submergent. Elle cherche des réponses. Dans un va-et-vient entre le couloir de la Mort et celui de la Vie, elle s'arrête sur des instants de vie, se remémore des bribes d'existences et raconte des histoires volantes. Tous se peignent dans une cinésthésie confuse et ô combien troublante. Point de bavardages intarissables comme nous pouvons souvent le trouver dans d'autres créations théâtrales. Et pour cause. Le texte est subtilement brodé et la structure dramaturgique intelligente. L'artiste passe d'un sujet à un autre, d'un état d'âme à un autre comme par magie. Il faut saluer ici la justesse du jeu de Leila Toubel qui a montré encore une fois son talent d'interprète. Sur une trame de fond basée sur la dualité mort/vie et tissée par le fil de la mémoire, Solwen se présente en un véritable kaléidoscope. Le ton y est tantôt grave, tantôt teinté d'humour. Le discours oscille entre l'intime et le social, entre le fictif et l'autobiographique. On s'en doutait, ce monodrame est foncièrement politique. Politique par excellence. Leila Toubel est, en effet, revenue sur l'après-14 janvier, à sa manière. Et quelle manière ! Mais elle ne joue pas dans la neutralité et elle ne cache pas son jeu : le parti pris est clair et assumé. Le langage est souvent cru et très direct. Nous sommes devant une Leila Toubel qui « vide son sac » sur scène. En plein exercice de catharsis. Féministe et engagée, elle lance un cri du cœur, dit très haut dans un beau dialecte tunisien, ce qui se dit très bas, bravant parfois tabous et interdits. Si le sujet est loin d'être inédit, puisque les événements qu'a connus notre pays après ladite révolution a constitué une matière première pour bon nombre de créations (on aura tout vu !), le traitement ici est profond, l'écriture percutante, s'écartant du populisme et du rire facile. Le tout est soutenu par une musique originale et évocatrice signée par les frères Gharbi et une mise en scène toute en sobriété. Pour cette raison, Solwen dérange. Elle nous pousse à réfléchir, nous remet le couteau dans la plaie. Elle nous rappelle ce que nous voulons oublier à tout prix, nous oblige à voir et à entendre ce que nous ne voulons plus voir ni entendre. C'est une pièce qui nous émeut tout simplement. Et ce n'est pas peu. Ce n'est pas donné à tout le monde... A contrario, ce qui peut porter à discussion, c'est le recours assez récurrent au premier degré et aux critiques directes, ainsi que le temps du spectacle relativement long (environ deux heures). Des points qui pourront certainement être revus dans les prochaines représentations. Traquée par une vilaine maladie qu'elle a su vaincre et par les maux du pays qu'elle a combattus, Leila Toubel semble comme vouloir prendre sa revanche sur les planches, habitée par un amour incommensurable de la patrie qu'elle nous confie en fin de spectacle. En tout cas, Solwen sera vraisemblablement l'événement théâtral de l'année ! A revoir sur la scène d'El Teatro les 22, 23, 24, 29,30 et 31 janvier.