Mbarka Brahmi : « C'est un gouvernement libéral qui scelle l'alliance de l'ancien régime avec la Troïka, qui se sont tous deux illustrés par l'échec de leurs politiques ». Mehdi Ben Gharbia : «C'est la fin de la bipolarisation idéologique entre islamistes et progressistes » Pour sa première prestation devant le Parlement et malgré une majorité acquise d'office pour le vote de confiance, le président du gouvernement désigné, Habib Essid, n'est pas parvenu à endosser le costume du chef. Hésitant et balbutiant par moments, il a dévoilé hier une partie du programme du nouveau gouvernement, annonçant tout de même des mesures concrètes dans un discours qui a duré plus d'une heure. Dans un document de vingt-cinq pages, le chef du gouvernement désigné a étalé les priorités des 100 premiers jours. Des mesures qu'il qualifie d' « urgentes », à l'instar de l'accélération de l'examen de la loi antiterroriste, l'assainissement du climat social à travers la résolution des dossiers sociaux en instance, le rehaussement du pouvoir d'achat par le gel des prix et l'augmentation de l'aide sociale au profit des familles nécessiteuses. Mesures concrètes 3et immédiates Au même moment où Habib Essid présentait son programme devant le Parlement, et à quelques centaines de mètres du siège de l'Assemblée, la police a découvert une cachette d'armes d'un présumé terroriste en possession d'un passeport étranger. Habib Essid déclarait en effet que la première de ses priorités est précisément la lutte contre le terrorisme comme « condition essentielle pour protéger le processus démocratique, la protection de la société et le renforcement de la confiance au présent et au futur ». « Nous continuerons à doter les forces de sécurité et l'armée d'équipements adéquats pour renforcer leurs capacités opérationnelles et leur efficacité », a-t-il déclaré. Outre la sécurité, l'amélioration du pouvoir d'achat figure également parmi les priorités du chef du gouvernement qui promet un meilleur contrôle des prix des produits de consommation de base. Même si l'idée reste floue, Habib Essid promet qu'un « système informatique pour le suivi des prix des produits frais » sera mis en place. Une entreprise dans laquelle il compte se lancer en « coordination avec les ministères et les groupements sectoriels concernés ». Habib Essid n'écarte pas l'usage « si besoin est » de l'article 4 de la loi sur les prix et la concurrence, qui autorise l'Etat à geler les prix des produits non encadrés pour une période pouvant aller jusqu'à six mois. Mais la mesure la plus concrète, qui pourrait être considérée comme la première véritable mesure du gouvernement Essid, c'est sans doute la promesse d'augmenter l'aide sociale de 120 à 150 dinars par mois au profit de 230 mille familles nécessiteuses, et ce, à partir du mois d'avril 2014. Longtemps réclamée par les économistes, l'Utica et l'Ugtt, le chef du gouvernement désigné propose également l'intégration des métiers non structurés (marché parallèle) dans le système légal. Une mesure qui, si elle est menée à son terme, pourra couper l'herbe sous les pieds des barons du commerce parallèle. Retour des plans quinquennaux Selon la promesse du chef du gouvernement, 42.500 petits agriculteurs en défaut de paiement de leurs dettes pourront souffler. En effet, l'Etat est désormais prêt à effacer l'ardoise pour les agriculteurs dont le montant de l'emprunt ne dépasse pas les 2.000 dinars. Des mesures qui ont pour principal objectif d'assainir les vieux dossiers pour se tourner vers l'avenir et « se remettre au travail ». Le chef du gouvernement, a passé en revue les chiffres peu flatteurs de l'économie tunisienne en 2014 : une « croissance molle de 2,4% basée sur la demande intérieure et la consommation », « un taux de chômage de 31,4% chez les jeunes » et « un taux d'endettement qui avoisinera les 52,9% du PIB en 2015 ». « Le modèle économique de la Tunisie est l'un des principaux obstacles devant une dynamique économique efficace et un rythme de croissance soutenu », a dénoncé Habib Essid. Ainsi, il préconise des réformes de fond du modèle et annonce le retour des plans quinquennaux. « Chaque ministre aura 10 jours, à partir de sa prise de fonction, pour établir un plan détaillé des priorités de son ministère », a annoncé le chef du gouvernement désigné. Manque de vision Malgré ces quelques mesures tangibles et les déclarations tendant à rassurer les plus incrédules quant au respect de la Constitution et du soutien au processus de justice transitionnelle, certains députés sont restés sur leur position. Imed Daimi (CPR), Youssef Jouini (UPL) et Zouhaier Maghzaoui (Mouvement du peuple) considèrent que le programme « manque de vision claire ». Lors de son intervention virulente, Zouhaier Maghzaoui a souligné : « Ce gouvernement de tractations partisanes est composé de personnes sur lesquelles pèsent des soupçons de normalisation avec l'entité sioniste, des personnalités qui ont soutenu Ben Ali et des personnalités sujettes à des procès en instance ». De son côté, Mbarka Brahmi (Front populaire) a exprimé des doutes quant à la capacité du ministre de l'Intérieur proposé, Najem Ghasalli, à « garantir la sécurité du pays », ainsi que sa capacité à « trouver les coupables du meurtre des martyrs ». La veuve de Mohamed Brahmi va plus loin et décrit le gouvernement comme un gouvernement « libéral ayant scellé l'alliance de l'ancien régime et la Troïka, qui, tous deux, se sont illustrés par l'échec de leurs politiques ». Pour sa part, le député de l'Alliance démocratique, Mehdi Ben Gharbia, affiche son soutien au gouvernement Habib Essid et salue « la fin de la bipolarisation idéologique entre islamistes et progressistes ». Ils étaient 136 députés à avoir demandé de réagir au discours de Habib Essid présentant le programme de son gouvernement. Une longue liste qui a contraint la présidence du Parlement à reporter le vote de confiance pour aujourd'hui.