Par Abdelhamid Gmati Les électeurs qui ont doté le parti Nida Tounès d'une majorité relative à l'Assemblée des représentants du peuple voulaient-ils que ce parti assume seul le pouvoir ou n'était-ce que l'expression d'un refus du mouvement Ennahdha qui a gouverné le pays pendant près de trois ans sans réaliser une seule des aspirations populaires ? Les observateurs optent pour la seconde version arguant que ce parti, créé justement comme opposition à la Troïka, présente une composition hétéroclite de personnalités diverses aux opinions parfois contradictoires. On comprend alors la déception de plusieurs nidaistes à l'annonce de la seconde version du gouvernement Essid, qui inclut des membres du mouvement islamiste. En fait, Nida pouvait-il, seul, exercer le pouvoir ? Même en s'alliant aux autres formations relativement modestes, en nombre de députés, son gouvernement n'aurait pu disposer que d'une mince majorité, insuffisante pour mener à bien les chantiers qui l'attendent dans tous les secteurs. Les joutes et les blocages se seraient succédé et le travail du gouvernement aurait été fortement handicapé. On aurait alors vécu une nouvelle ère d'instabilité préjudiciable. Habib Essid et Béji Caïd Essebsi ont visiblement opté pour la stabilité et le travail efficace. Avec sa nouvelle composition, le gouvernement disposera, théoriquement, de l'appui d'au moins 179 députés. On pourrait alors dire que la Realpolitik a prévalu. Il y a là une démarche bourguibiste qui tenait compte de la réalité des choses pour réaliser les objectifs. La politique n'est-elle pas l'art du possible? Les observateurs ont cependant été surpris par la «modestie» relative de la présence nahdhaouie au gouvernement : un ministre et trois secrétaires d'Etat alors que le modeste Afek Tounès, avec ses huit députés, compte trois ministres. On s'interroge alors sur la modestie des ambitions islamistes. D'aucuns estiment qu'Ennahdha ne veut pas être associé, à la responsabilité du gouvernement Essid. Si celui-ci échoue, la responsabilité incombera au seul Nida Tounès. L'objectif réel serait d'être membre du gouvernement ne serait-ce que pour suivre les dossiers de près et éventuellement influer sur les options et les décisions. Une question se pose : le président Caïd Essebsi s'est engagé à élucider les assassinats politiques et de traduire en justice les responsables. Or Ennahdha y est impliqué d'une façon ou d'une autre, ne serait-ce que pour n'avoir pas enquêté. Le gouvernement tiendra-t-il cette promesse? Et jusqu'où le mouvement islamiste laissera-t-il faire? Consentira-t-il à sacrifier quelques «boucs émissaires» pour s'acheter une «virginité»? A suivre... La même Realpolitik se retrouve dans la structure même du gouvernement. D'aucuns s'interrogent sur le bien-fondé de certains ministères et secrétariats d'Etat, comme par exemple : «Ministre auprès du chef du gouvernement chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile», «Ministre auprès du chef du gouvernement chargé des relations avec l'ARP», ou encore : «Secrétaire d'Etat chargée de la Coopération internationale» alors qu'il y a un ministre qui en a la charge, ou «Secrétaire d'Etat chargée du dossier des blessés et martyrs de la révolution», alors que d'autres structures s'en occupent déjà. De la même manière : «Secrétaire d'Etat chargé de la remise à niveau des établissements hospitaliers», tâche qui incombe au ministre de la Santé. On a aussi deux secrétaires d'Etat pour la pêche et pour la production agricole qui viennent «alléger» le travail du ministre de l'Agriculture. Et bien sûr, ce «Ministre, représentant personnel du président de la République». Bourguiba en avait un, mais il était alors malade et ne pouvait se déplacer à l'étranger. Serait-ce le cas pour Caïd Essebsi ? Visiblement, ces postes sont destinés à satisfaire certaines ambitions. Cela va peser encore sur le budget de l'Etat. Alors? On peut ne pas être satisfait de la composition du gouvernement. Et il est naturel et même souhaitable que l'opposition s'oppose. Mais il est normal aussi d'accorder le préjugé favorable de laisser cette équipe faire son travail. En étant vigilant, bien sûr. Et puis a-t-on le choix?