Dans son discours-programme, le chef du gouvernement, Habib Essid, a déclaré entre autres mesures le gel des prix. Or, la question qui s'impose, au plan pratique, c'est de savoir si réellement le gouvernement Essid réussira dans cette tâche qui consiste à lutter contre la hausse des prix. Pour éclairer notre lanterne, nous avons approché Moez Joudi, expert en économie. Lequel a commencé d'abord par évaluer le discours-programme du chef du gouvernement : «Sur l'ensemble du discours, je suis franchement et objectivement déçu, quoique j'apporte mon soutien au gouvernement Essid, car nous n'avons plus le temps de tergiverser, la situation est grave mais pour l'intérêt national du pays, je ne peux que soutenir, pour cette prochaine période, ce gouvernement. Maintenant la raison de ma déception est claire, car je m'attendais à plus, même s'il s'agit d'un premier discours sur une période proche où nous n'avons pas besoin de détails, certes, mais au moins d'un plan d'orientation et de mesures économiques claires. Or, ce n'est pas du tout le cas dans ce discours-programme. D'abord, vous aurez remarqué que le chef du gouvernement n'a fait aucun diagnostic, la situation actuelle du pays n'a pas été identifiée clairement chiffres à l'appui. Je déduis que soit Habib Essid ne la connaît pas, soit il attend d'avoir le pouvoir en main et de diagnostiquer la réalité sur le terrain. En outre, les orientations exposées par le chef du gouvernement sont vagues et superficielles et en même temps, il s'agit de propos galvaudés et réchauffés, car je viens de relire le programme de Ben Ali de 2009, et je l'ai trouvé tout à fait identique à celui de Habib Essid, du moins dans ses grandes lignes. Or, je m'attendais à une vision plus claire et à de nouvelles orientations pour l'avenir. On peut dire, donc, que ce programme est dénué de pertinence et se limite à de grandes lignes. Mais nous n'avons plus de temps à perdre, car il faut d'ores et déjà prendre le taureau par les cornes et œuvrer pour sortir le pays du marasme où il se trouve. Il faut que le chef du gouvernement ait le courage d'informer les Tunisiens sur la situation économique actuelle». Economie de marché Concernant la question du gel des prix, notre interlocuteur est clair et catégorique : «Geler les prix n'a aucun sens, c'est même absurde, car il n'existe pas de baguette magique, outre qu'il y a des contraintes, les producteurs et les investisseurs ne peuvent vendre à perte, ce sont-là les paramètres, le gel des prix ne se décrète pas car il s'agit d'une économie de marché. Que le chef du gouvernement dise je vais lutter contre l'inflation et la hausse des prix, la contrebande, les circuits non contrôlés, on est d'accord, mais geler les prix comme ça d'un coup de baguette magique, non ce n'est pas possible. Sachez que l'investissement est fortement en baisse, qu'il soit public ou privé, interne ou externe, car le climat des affaires est détérioré. Donc, les investisseurs ne viennent plus en Tunisie. Il était attendu de Habib Essid d'annoncer l'institution d'un cadre juridique, l'amélioration de l'infrastructure et de la sécurité en favorisant la transparence. Or, il n'a jamais prononcé le terme climat des affaires. En tout cas, j'espère qu'il attend de prendre les choses en main et d'être plus proche du terrain pour mieux comprendre la situation et déployer enfin son programme». Quel programme économique appliquer ? Maintenant, concernant le programme économique à appliquer, on peut se poser la question, lequel sera pris en compte : celui de Nida Tounès, d'Afek Tounès, d'Ennahdha où de l'UPL, ou tous à la fois ? La question taraude Moez Joudi qui y répond sans détour: «Le parti qui a gagné les législatives a son propre programme économique, mais les autres membres du quartet représenté au gouvernement aussi, normalement c'est le programme de Nida Tounès qui doit être appliqué. Surtout qu'il a été préparé par des experts avec des mesures et des décisions précises. Or, nous n'avons décelé aucun point du programme économique de Nida Tounès affleurer dans le programme d'Essid, ce qui est pour le moins incohérent. Maintenant concernant les objectifs chiffrés, le chef du gouvernement n'a donné aucun chiffre. Or, pour déployer une politique économique, il faut tracer des objectifs pour la croissance, l'inflation, etc. Pis, ce qui est étrange c'est que le chef du gouvernement a déclaré, mercredi, qu'il présentera un programme détaillé après la consultation des parties politiques et là il reproduit la même erreur que celle du précédent chef de gouvernement, Mehdi Jomâa. Passe pour ce dernier, puisque nous étions dans une phase transitoire, mais maintenant Habib Essid est le chef du gouvernement et il doit agir rapidement, d'autant que les programmes économiques des partis vainqueurs des législatives sont connus et qu'il n'a pas besoin de ces éternelles consultations qui vont aboutir à un programme patchwork et qui nous font perdre, encore et toujours, du temps. Habib Essid doit gouverner en se référant à son programme économique et à ses ministres et il sera jugé sur ses résultats». Et les solutions ? A tous les problèmes, il y a des solutions. Que sont-elles donc ? Moez Joudi réplique que «si les problèmes sont connus, il faut dire que les solutions le sont aussi car plusieurs experts en économie s'y sont penchés et ont apporté des réponses. Au lieu d'attendre, encore, une dizaine de jours pour que chacun des ministres du gouvernement apporte une feuille de route comportant les problèmes urgents et les priorités économiques, il faudrait lancer, d'ores et déjà, un plan de sauvetage en 5 axes. Le 1er axe concerne la nécessité de renforcer la stabilité et la confiance des investisseurs, des producteurs et des patrons de PME qui constituent le tissu économique du pays, par le dialogue et la concertation afin de rendre la confiance à tous les partenaires de la Tunisie, ici ou ailleurs. Le 2e axe concerne l'arrêt de l'hémorragie des déficits, au niveau de la balance commerciale qui est de 13,7 milliards de dinars à la fin de 2014, du budget de l'Etat qui est de 6 à 7%, de la balance des paiements courants. Car ce cumul de déficit impacte négativement l'équilibre de l'économie du pays. Il s'agit donc d'arrêter les déficits pour booster les exportations, diminuer l'inflation, améliorer la situation des PME, etc. Le 3e axe consiste en une série des réformes : fiscales entamées par le gouvernement, bancaires et financières, outre la réforme de la caisse de compensation, du coût des investissements, de la Caisse de la sécurité sociale, de la gouvernance des entreprises publiques fortement déficitaires, enfin, l'adoption de la loi PPP (partenariat public et privé). Le 4e axe : résoudre les problèmes de l'investissement et des PME en les incitant à se développer car la majorité a fait faillite. Or, elles constituent le pouvoir de l'économie tunisienne. Les encadrer en appliquant un plan de sauvetage afin de relancer non seulement les PME, mais aussi l'investissement et le climat des affaires. Le 5e axe a trait au renforcement du cadre législatif, notamment la bonne gouvernance et la transparence, pour assainir le monde des affaires».